« Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de s’engager à éliminer la surreprésentation des Autochtones dans les établissements de détention d’ici dix ans et à publier des rapports annuels détaillés pour en assurer le suivi et en évaluer les progrès. »
Ceci est l’Appel à l’action no 30 de la Commission de vérité et réconciliation, publié il y a dix ans. Depuis, le Canada a progressé sur certains appels, et en a négligé d’autres. Mais en ce qui concerne l’appel no 30, la situation s’est dramatiquement aggravée.
Il y a dix ans, les adultes autochtones — 5 % de la population totale du Canada — représentaient déjà 27 % des admissions dans les prisons fédérales. Aujourd’hui, cette proportion est de 30 % pour les hommes adultes autochtones et atteint un inconcevable 50 % pour les femmes adultes autochtones. Dans les prisons provinciales, les chiffres sont encore plus sombres. Au Manitoba, les Autochtones représentent 18 % de la population générale, mais 77 % des personnes détenues dans les établissements provinciaux. Les jeunes autochtones comptent pour 8 % de la population canadienne, mais représentent 40 % de toutes les admissions dans les prisons provinciales et territoriales. Les jeunes filles autochtones constituent un chiffre ahurissant de 70 % de toutes les adolescentes incarcérées.¹
Le Canada continue d’échouer auprès de ses jeunes autochtones. Et nos prisons sont les pensionnats du XXIe siècle.
La Cour suprême du Canada a qualifié à maintes reprises cet état de crise. Elle a déclaré que le gouvernement canadien est complice d’avoir créé les conditions de cette tragédie, et elle a demandé aux juges de tenir compte, dans les sentences, de l’impact de la colonisation : l’attaque contre la culture, la langue et les pratiques traditionnelles, ainsi que le racisme et la discrimination systémiques auxquels font face les peuples et communautés autochtones — notamment le manque d’accès à l’eau potable, à un logement adéquat, aux soins de santé, aux services de santé mentale, à l’éducation et au soutien familial. De plus, l’article 718.2(e) du Code criminel, adopté il y a 27 ans, exige des juges qu’ils considèrent toutes les solutions de rechange à l’incarcération lorsqu’ils imposent une peine à une personne autochtone.
Or, ni les jugements de la Cour suprême ni les modestes modifications législatives n’ont eu l’effet escompté. Les mesures mises en place pour corriger cette injustice grave sont soit inadéquates, soit sous-financées.
L’article 718.2(e) du Code criminel n’oblige pas les juges à éviter la prison pour les personnes autochtones. Il énonce simplement un principe de détermination de la peine — parmi plusieurs autres — qui ne pèse pas plus lourd que des objectifs comme la dissuasion ou la dénonciation. La loi est insuffisante. Il faut la modifier afin que les juges soient tenus d’imposer des peines non carcérales et non coloniales aux personnes autochtones, sauf dans les cas les plus exceptionnels. La discrétion judiciaire est un élément fondamental de notre système de justice, mais les faits démontrent que le statu quo perpétue une injustice grandissante.
Les pavillons de ressourcement sont reconnus comme des alternatives efficaces à la prison. Il n’en existe que dix au pays, un nombre beaucoup trop faible pour avoir un réel impact. De plus, certains établissements sont situés loin des communautés auxquelles les personnes doivent retourner après leur peine. Environ la moitié de ces pavillons sont gérés par des communautés autochtones, l’autre moitié par le Service correctionnel du Canada. Comme bien d’autres services dirigés par les Autochtones, ces pavillons souffrent d’un sous-financement chronique. Sans un investissement suffisant dans un nombre adéquat de pavillons, les personnes autochtones resteront piégées dans l’engrenage des prisons coloniales.
L’insuffisance de la loi actuelle est illustrée par l’affaire récente d’Angela Davidson (Rainbow Eyes), cheffe adjointe du Parti vert du Canada et membre de la Première Nation Da’naxda’xw. Mme Davidson a reçu une peine de 51 jours de prison pour outrage au tribunal, après avoir défié des injonctions avec l’objectif de bloquer la coupe des forêts anciennes sur la côte ouest de la Colombie-Britannique. Malgré l’absence de casier judiciaire, un leadership communautaire exemplaire et une histoire familiale marquée par les pensionnats et les écoles de jour indiennes, elle a été incarcérée parce que le juge a privilégié la dissuasion et la dénonciation plutôt que son vécu autochtone et sa désobéissance civile non violente. Le fait qu’une femme autochtone respectée défendant le territoire, n’ayant commis aucune infraction violente, ait tout de même été envoyée en prison — même après le refus des cours d’appel de modifier la peine — démontre clairement que la loi actuelle permet aux principes de s’affronter sur un pied d’égalité, au lieu d’obliger les juges à prioriser des solutions de rechange pour les personnes autochtones.
À long terme, le moyen le plus efficace de réduire la surincarcération est d’agir sur les causes profondes : les traumatismes intergénérationnels liés à la perte forcée de la langue et de la culture, au déplacement contraint des terres, à la violence des pensionnats, aux lois racistes, aux femmes et filles autochtones disparues et assassinées, au retrait des enfants des familles autochtones, ainsi qu’à la pauvreté, au manque d’accès à l’éducation et aux services de santé, puis à la discrimination dans le système judiciaire. Pourtant, année après année, nos gouvernements annoncent en grande pompe de nouveaux programmes, et les leaders autochtones consacrent temps et ressources à les mettre en place, pour voir ensuite les fonds s’évaporer l’année suivante.
Pour donner un véritable sens à l’Appel à l’action no 30, tout cela doit changer.
En cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, nous devons exiger que nos gouvernements fassent tout ce qu’il faut pour mettre fin à cette tragédie qu’est l’incarcération massive des peuples autochtones.
Dyanoosh Youssefi, Porte-parole en matière de justice, Cabinet fantôme du Parti vert du Canada
¹ Voir par exemple : https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/pf-jf/2024/nov.html