L'audit d’Attawapiskat ne doit pas masquer un pénible héritage

Elizabeth May

Les relations n’ont peut-être jamais été aussi tendues entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral.

J’espérais que la décision du Premier ministre de rencontrer les chefs des Premières Nations vendredi annoncerait le début d’une nouvelle ère et permettrait d’établir des relations de nation à nation fondées sur le respect. Peut-être pourrions-nous enfin songer à mettre en œuvre le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996).

Malheureusement, les déclarations des porte-parole conservateurs, comme le sénateur Patrick Brazeau, ont pris un ton acrimonieux et se multiplient dans les médias pour mieux taper sur la chef crie Theresa Spence. La vérification des états financiers d’Attawapiskat porte sur les années 2005 à 2011, mais rappellons que la chef Spence a été élue en 2010.

La publication d'un audit sur les finances du conseil de bande d’Attawapiskat est brandie par certains comme la preuve ultime – la preuve de quoi, au juste? – que la crise du logement qui sévit dans les collectivités des Premières Nations est imputable à leurs chefs. Ce rapport ne confirme pas qu’il y a eu fraude, mais démontre un niveau inacceptable de dépenses pour lesquelles il n’existe aucune pièce justificative. Le rapport ne dit pas que l’argent a été dépensé de manière inadéquate. Le fait est que nous n’en savons rien. Les accusations et les attaques ne sont pas propices au développement de relations fondées sur le respect des droits issus des traités et des droits inhérents des Premières Nations.

Prenons un peu de recul et admettons une fois pour toutes ce secret de polichinelle : des millions de dollars en fonds fédéraux destinés aux autochtones vont garnir les poches d’experts-conseils, d’avocats et de bureaucrates non autochtones censés servir les intérêts des collectivités des Premières Nations. Plusieurs collectivités des Premières Nations pourraient bénéficier d’une meilleure tenue de livre et de vérifications financières plus fréquentes, mais le Bureau du vérificateur général a souvent fait le même commentaire à l’endroit du gouvernement fédéral. Ce n’est pas sans raison que la vérificatrice générale Sheila Fraser a consacré une aussi grande portion de son rapport final à la litanie d’échecs du gouvernement fédéral en ce qui a trait aux objectifs minimum requis pour respecter ses engagements à l’égard des Premières Nations, des Métis et des Inuits. En 2005 puis en 2011, la vérificatrice générale a relevé une liste de violations. Dans son dernier rapport à titre de vérificatrice générale, publié par son successeur, Sheila Fraser a réitéré sa déception : « Je constate, avec une profonde déception, qu’en dépit des mesures prises au fil des ans par le gouvernement fédéral en réponse à nos recommandations, un nombre disproportionné de membres des Premières Nations n’ont toujours pas accès au même titre que le reste de la population canadienne aux plus élémentaires des services. » Elle n’a jamais pointé du doigt des collectivités en particulier, mais bien le ministère des Affaires autochtones pour s’être caché derrière des politiques vaguement définies au lieu de se doter d’un ensemble de lois explicite comme celui des gouvernements provinciaux pour répondre aux besoins des non autochtones en matière de santé, de logement, d’eau potable et d’éducation.

Ainsi, tout comme le mouvement de contestation Idle No More (qui dénonce le manque de consultations des Premières Nations par Ottawa) ne découle pas de la grève de la faim de la chef Theresa Spence, la vérification des finances d’Attawapiskat n’est pas une réponse à la suite irréfutable et scandaleuse de négligences quant aux obligations de la nation canadienne aux termes des traités à l’égard des personnes sur les terres desquelles nous nous sommes établis et auxquelles nous avons soutiré des ressources qui ont fait notre richesse.

De nombreux jugements rendus par la Cour suprême du Canada établissent clairement l’obligation de consulter du gouvernement fédéral tout comme celle des sociétés privées convoitant les terres et les ressources des Premières Nations. Pourtant, les Conservateurs de Harper ont procédé à une série de changements législatifs au cours de la dernière année sans aucune consultation préalable, malgré les impacts majeurs sur les Premières Nations. Le gouvernement Harper a notamment forcé l’adoption de ses deux projets de loi mammouth, C-38 et C-45, sans consulter les Premières Nations, malgré leurs conséquences majeures pour eux. L’Accord d’investissements Canada-Chine signé par le premier ministre au début du mois de septembre – non encore ratifié – pourrait également avoir des conséquences majeures sur le quotidien des Premières Nations. La négligence semble avoir graduellement cédé la place aux attaques ouvertes et aux discours cyniques contre les Premières Nations, comme si nous pouvions effacer les droits garantis par la Charte s’ils constituaient un jour un obstacle aux mines, aux barrages et aux pipelines. La question de la non-consultation doit être réglée immédiatement.

L’abandon de l’Accord de Kelowna (2005) fut le début de la fin avec une série de compressions dans les programmes visant à éliminer les disparités entre les résultats en matière de santé des Canadiens autochtones et non autochtones : programmes de sensibilisation en matière de santé pour contrer le tabagisme, Initiative sur le diabète chez les Autochtones, Initiative sur les ressources humaines en santé autochtone, Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones, Fonds de transition pour la santé des Autochtones, Programme de lutte contre l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, Programme de santé maternelle et infantile, programme pour les Maladies transmissibles par le sang et infections transmises sexuellement – VIH-sida. En outre, des organisations ayant pour mandat de contribuer à mieux comprendre ces disparités, comme l’Organisation nationale de la santé autochtone (ONSA) et l’Institut de la statistique des Premières nations (ISPN), ont été éliminées. Enfin, le coût élevé des denrées et du mazout dans le Nord est un problème majeur et n’a toujours pas été abordé.

Même si la situation est désepérante, nous devons croire au potentiel du mouvement embryonnaire Idle No More et espérer que tous les chefs présents relèveront la barre de la décence et du respect – les uns envers les autres et envers les peuples et les territoires qu’ils représentent. À l’instar du premier dirigeant autochtone de la Bolivie, ne pourrions-nous pas commencer par aborder la protection constitutionnelle de la nature? Ne pourrions-nous pas entreprendre l’ébauche d’un nouveau cadre pour remplacer la Loi des Indiens, pour établir un ensemble d’objectifs concrets et pour garantir l’égalité d’accès à une éducation adéquate, à l’eau potable, à des soins de santé décents et à un logement sécuritaire à tous les enfants de cette portion de l’Île-de-la-Tortue, autochtones et non autochtones? Ne pourrions-nous pas tenir nos promesses, enchâssées dans les traités du passé, et jeter les fondations pour un avenir fondé sur le partage respectueux de cette terre? Je crois que c’est possible. En fait, un devoir de réussite nous incombe.