De déprimant à très déprimant, tant à Ottawa qu'à Poznan

Elizabeth May

Poznan, Pologne – J’aimerais pouvoir vous faire part de meilleures nouvelles. L’atmosphère ici à la 14e Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la 4e Session de la Rencontre des Parties au Protocole de Kyoto est tout simplement morne. Il n’y a eu aucune négociation officielle aujourd’hui en raison du Hadj. Ainsi, tout ce qui a eu lieu était en grande partie lié à des conversations de corridor et à des conférences de presse.

Arrivés à la date limite des négociations pour obtenir un protocole significatif permettant que nous soyons fins prêts pour le 1er janvier 2013 – date où la première phase du Protocole de Kyoto prendra fin – et à un an de la réunion de Copenhague, les délégués parlent ouvertement d'un échec.

Le Centre Pew sur les changements climatiques, qui s’avère habituellement une source utile en matière de conseils stratégiques, a émis une analyse totalement empreinte de défaitisme, en donnant comme raison qu'il est impossible de s'attendre à ce que le nouveau président des États-Unis soit prêt pour prendre d'autres engagements d'ici l'an prochain, particulièrement en ces temps de crise financière. En attendant, la date limite n'est pas liée à ce qui est « facile à faire » pour un président américain (ou pour un premier ministre canadien, dans le cas qui nous intéresse), mais plutôt à ce qui est « nécessaire de faire » afin d’éviter l'atteinte du point de non-retour en ce qui a trait à l'atmosphère de la planète. Nous sommes dans une course contre la montre, et cela n'a rien à voir avec la politique. Cela concerne plutôt la chimie de l’atmosphère. Si nous ne réussissons pas à réduire nos émissions polluantes rapidement et dans un avenir rapproché, il se peut que nous provoquions un désastre climatique impossible à maîtriser. L’atmosphère n’est pas du tout ouverte à négocier avec l'humanité.

Yvon de Boer, qui est le secrétaire de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, a rejeté avec force les arguments du Centre Pew. Évidemment, le négociateur en chef des États-Unis, Harlan Watson, qui agit toujours sous les ordres de Bush, a rapidement affirmé être du même avis que le Centre Pew.

Les arguments d’Yvon de Boer sont tout à fait justes en ce qui a trait au fait que les pays riches devraient s’entendre en 2009 pour diminuer de façon importante leurs émissions polluantes jusqu’en 2020. Toutefois, dans une entrevue accordée à l’agence de presse Reuters, il a aussi déclaré que l’accord de Copenhague pourrait être « ratifiable », en conservant certains détails pour des discussions ultérieures.

« Des pays ont entamé des négociations l'an dernier à Bali et se sont entendus pour les terminer d'ici l'an prochain pour Copenhague », a-t-il affirmé à Reuters. « Commencer à hésiter au sujet de cette résolution à mi-chemin du processus n’est pas très utile. »

Pendant ce temps, l’Inde est furieuse que les pays riches, qui ne consacrent aucun budget à la crise climatique, trouvent assez facilement des milliards de dollars pour renflouer leurs secteurs financiers et créer des programmes qui stimuleront l'économie.

« En ces temps préoccupants de crise économique, les gouvernements sont en mesure de trouver des ressources se chiffrant en centaines de milliards de dollars, alors pourquoi ne le font-ils pas pour la crise climatique?

« Ainsi, vous êtes en mesure de mobiliser des centaines de milliards de dollars pour faire face à une crise économique, mais vous ne pouvez pas en utiliser une partie pour vous attaquer à la crise planétaire? », a affirmé au journal « The Guardian » Shyam Saran, négociateur en chef de l’Inde à la conférence sur les changements climatiques des Nations Unies.

Tous les gens avec qui j’ai parlé sont complètement désespérés par le fait que le gouvernement du Canada se montre si peu coopératif avec ses demandes de dispenses exceptionnelles et ses arguments du type « nous avons un grand territoire où il fait froid, et nous disposons dans nos ressources de beaucoup de sables bitumineux ». (Le seul gouvernement à avoir suscité une plus grande risée est celui du Koweït, qui réclamait un accès aux fonds des pays en développement pour lui permettre de s'adapter étant donné que son territoire se trouve à un niveau très bas par rapport à celui de la mer!)

J’ai entendu que de jeunes délégués venant des quatre coins du monde avaient fondu en larmes lorsqu'ils ont appris la nouvelle disant que le premier ministre du Canada s’accrochait au pouvoir en prorogeant le Parlement. Un représentant d’une ONG britannique que j’ai rencontré par hasard aujourd’hui était profondément choqué : « C’est un geste excessivement antidémocratique! Proroger les travaux de la Chambre pour éviter de perdre un vote!?! »

Beaucoup de délégués se souviennent de Stéphane Dion en tant que président de la 11e Conférence des Parties. Il est tenu en très haute estime pour le leadership dont il a fait preuve lors de cette conférence, et les rumeurs de sa démission ont été accueillies avec désarroi par des gens venant de partout dans le monde. Même planète, différents points de vue.

Lors d’une séance sur la justice en matière de climat, un collègue du Salvador qui est également l'un de mes bons amis, M. Ricardo Navarro, a présenté une analyse accablante. Avec des niveaux de CO2 approchant les 390 ppm, il n’y a plus de temps pour attendre, a-t-il affirmé aux délégués. Voici quelques notes que j’ai prises lors de sa présentation :

« Il y a sept mois, un cyclone tropical s’est abattu sur la Birmanie, où 150 000 personnes ont été tuées. Cela équivaut aux totaux des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki combinés. Et voilà les pays riches qui essaient d’échapper à leur devoir de réduire leurs émissions polluantes grâce aux échanges de droits d’émission de carbone. Ils n’ont vraiment aucun principe éthique. Il s’agit d’un comportement criminel…

« C’est une question de justice. Les pays riches doivent compenser les dommages qu’ils ont causés aux pays pauvres. Les représentants des gouvernements qui sont ici ont une confiance presque infinie en le marché, mais c’est ce même marché qui a créé le problème que nous vivons. Comme l’a déjà dit Einstein, comment pouvons-nous régler le problème en conservant la même attitude que nous avions avant de le créer?

« La situation est très grave, et pourtant, nous ne voyons aucun engagement ni aucune volonté politique pour résoudre ce problème. Nous pourrions prendre le budget militaire de la planète, qui s’élève à un billion de dollars par année, et l’investir dans le but de régler la crise climatique. Mais personne ne parle de cette solution. Pour le bien de l’humanité, nous devons changer radicalement la discussion. »

Mais il y a de l'espoir, car la délégation dépêchée par le président américain élu, Barack Obama, qui compte entre autres le sénateur John Kerry et le gouverneur Arnold Schwarzenegger parmi ses délégués, arrivera avec un engagement clair à exécuter. Peut-être seront-ils en mesure de refaire dans les négociations sur la crise climatique ce qu'ils ont fait pour les marchés financiers. L’atmosphère n’est pas optimiste, mais, comme l’a déjà dit Barbara Ward : « Nous avons tous le devoir d’espérer. »