Le Canada n’a toujours aucun plan pour lutter contre les changements climatiques

Elizabeth May

Les enjeux qui pourraient faire l’objet d’une chronique du Hill Times sur la politique environnementale sont nombreux. Même en établissant une simple liste de ces enjeux, le catalogue des attaques perpétrées par le premier ministre contre nos lois et nos politiques environnementales au cours des 12 derniers mois suffirait à remplir toute cette édition, de la une jusqu’à la dernière page.

Le Canada a sapé les négociations internationales sur le climat à Durban en décembre, négocié de mauvaise foi, avant d’annoncer son intention de renoncer au Protocole de Kyoto aussitôt que le ministre de l’Environnement a foulé le sol canadien à son retour de Durban. Le ministre des Ressources naturelles Joe Oliver a inauguré la nouvelle année avec une attaque contre les environnementalistes et les Premières Nations en les qualifiant de « radicaux ». Loin d'être en reste, le premier ministre a diabolisé les groupes écologistes qui acceptent des fonds étrangers, et ce, pendant qu’il courtisait le Parti communiste chinois en faisant miroiter tous les avantages pour l’État chinois d’investir dans les sables bitumineux. Une secrétaire parlementaire a même déclaré que quiconque s’opposait aux pipelines et aux superpétroliers était de toute évidence « anti Canada ». Lorsqu’on lui a demandé de retirer cette remarque parce qu’elle était antiparlementaire, elle a refusé.

Désormais, un rouleau compresseur législatif, le projet de loi C‑38, abrogeait la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, remplaçant ainsi une loi cohérente par un ramassis de formules discrétionnaires laissant libre cours à la confusion, aux différends et aux poursuites judiciaires. L’éviscération de la Loi sur les pêches a soulevé l’ire de quatre anciens ministres des Pêches fédéraux. Le ministre de l’Environnement Peter Kent a insulté les quatre anciens ministres en insinuant qu’ils n’avaient pas lu la Loi. Le vétéran Tom Siddon, ministre des Pêches dans le gouvernement Mulroney, s’est présenté pour témoigner devant le sous-comité des Finances et a rapidement démontré qu’il était possiblement le seul ministre à avoir bel et bien lu la Loi. Quant à l’actuel ministre des Pêches Keith Ashfield, il aurait bien voulu nous convaincre que la nouvelle Loi sur les pêches renforcera la protection de l’habitat, mais la menace pour l’habitat est bien réelle et mise en exergue par les avis de licenciement envoyés par la suite aux fonctionnaires de Pêches et Océans Canada chargés de la protection de l’habitat en Colombie-Britannique. La Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie a été démantelée. La Loi sur les espèces en péril et la Loi sur la protection des eaux navigables ont été modifiées pour autoriser l’Office national de l’énergie à assumer les compétences sur la protection des espèces en péril et sur les eaux navigables lorsqu’elles font obstacle à un projet de pipeline, quel qu’il soit.

La science fondamentale et la surveillance ont été sauvagement mutilées avec l’annulation du financement accordé à la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l'atmosphère, l’élimination de l’équipe de recherche sur l’adaptation d’Environnement Canada, les compressions draconiennes en lien avec la surveillance de la couverture d’ozone, la fermeture du  Laboratoire de recherche atmosphérique dans l'environnement polaire (PEARL) situé à Eureka, la vente des 58 lacs compris dans la Région des Lacs expérimentaux près de Kenora, Ontario, l’élimination du programme de recherche sur les contaminants marins du ministère des Pêches et des Océans, la perte des scientifiques de Ressources naturelles Canada chargés d’étudier les données sur les noyaux de glace (et la course effrénée pour trouver une université avec un gigantesque frigo capable d’accueillir les 80 000 échantillons de noyaux de glace pour lesquels le gouvernement canadien n’a plus aucun intérêt), la fin de la surveillance des émissions des cheminées industrielles, les compressions budgétaires imposées au groupe de recherche sur les hydrocarbures canadiens basé à Halifax et enfin, le sabrage éhonté des budgets du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) entraînant la fermeture du laboratoire de recherches du Yukon Collège à Whitehorse.

Une nouvelle vague de privatisation vient de frapper les parcs nationaux – d’abord Jasper, puis les sources thermales de Banff, tandis que la réduction radicale des effectifs des parcs a soulevé l’ire de l’ancien sous-ministre Jacques Gérin, qui a demandé à Harper de mettre un frein au démantèlement des parcs nationaux.

Nous avons droit à un barrage de mauvaises nouvelles, alors que les compétences clés du fédéral en lien avec la nature tombent une à une sous le feu nourri des compressions budgétaires et des annulations de programmes. Cette tactique d’attaque multidimensionnelle a pour effet d’aveugler les médias et le grand public en jetant un brouillard artificiel sur la véritable menace : en 2012, le Canada n’a toujours aucun plan pour lutter contre la menace des changements climatiques.

Pendant que Stephen Harper a réussi à réduire de façon drastique la couverture médiatique canadienne sur la science climatique en bâillonnant et en muselant les scientifiques, l’atmosphère ne semble pas avoir reçu la note de service. Partout dans le monde, la puissance et la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes ont réveillé même les médias grand public des États-Unis. Les feux, inondations, tornades et vagues de chaleur causent des ravages à l’agriculture et font grimper la facture des assureurs. Les phénomènes météorologiques étranges auxquels nous avons assisté cette année sont largement attribuables au réchauffement rapide de l’Arctique. En effet, à mesure que l’Arctique se réchauffe, l’écart de température entre l’Arctique et l’Équateur se réduit. Cela modifie la trajectoire et la stabilité du courant-jet (Francis, Vavrus, Rutgers; Université du Wisconsin). Son ralentissement fait en sorte que les systèmes de haute et de basse pression se déplacent beaucoup moins rapidement, provoquant des inondations dans les zones de basse pression et des vagues de chaleur et des feux de forêt dans les zones de haute pression.

Les pertes de nos terres agricoles ainsi que les pertes attribuables aux inondations et aux feux de forêt ont un cout économique en plus de faire de nombreuses victimes. Malgré tous les efforts déployés par le premier ministre pour saper la collecte de données, la crise climatique est bel et bien réelle et les preuves sont irréfutables. Nous sommes en train de saboter l’avenir de nos enfants, mais qu’est-ce que cela peut-il bien faire, du moment que les hydrocarbures coulent à flot?