La souris qui rugit

Elizabeth May

Cette
petite rivière au Manitoba qui tient toute une communauté inondée sur un pied
d'alerte depuis trois mois a joué un grand rôle dans ma vie.

J'ai adoré
travailler au cabinet du ministre de l'Environnement dans les années 1980... jusqu'au
scandale mieux connu sous le nom du compromis Rafferty-Alameda, qui éclata au
grand jour lorsqu'une journaliste diligente du Winnipeg Free Press élucida la
rumeur selon laquelle j'avais démissionné de mon poste dans la foulée de la
décision d'octroyer des permis pour l'érection de deux barrages en Saskatchewan
dans le cadre d'un échange politique, sans évaluation environnementale
préalable. Barbara Robson, une journaliste primée à l'époque pour son
travail sur l'amiante, m'avait retracée et fut la première à me demander
officiellement pourquoi j'avais démissionné de mon poste de conseillère
principale en politiques auprès du ministre de l'Environnement. La Fédération
canadienne de la faune a intenté des poursuites à la Cour fédérale à l'issue
desquelles un juge a déterminé que « oui, en effet », ces permis avaient
été accordés illégalement. Mais je ne fais que replacer les choses dans leur
contexte.

Ce que cela
signifie en 2011 est que toutes ces histoires sur la rivière Souris qui déborde
ont beaucoup plus d'importance pour moi que pour le citoyen moyen n'habitant
pas la région de la rivière Souris. Pour moi, cela signifie qu'une toute petite
rivière insignifiante déborde. Et cela signifie que cette minuscule rivière
déborde malgré les deux barrages monstres construits en amont.

La Souris
(ainsi nommée parce que c'est vraiment une toute petite rivière) est tributaire
de l'Assiniboine. Alimentée par les écoulements printaniers près de Weyburn,
Saskatchewan, elle s'écoule vers le sud pour se jeter le Dakota du Nord, avant
de revenir vers le nord pour terminer son cours au Canada et au Manitoba. La
plupart du temps, à certains endroits, on peut la traverser en chaussant de
simples bottes de pluie. La décision de construire les barrages Rafferty et
Alameda fut controversée et décriée par les exploitants agricoles tellement
cela semblait inutile et n'accomplirait rien sinon inonder des terres agricoles
fertiles pour créer des réservoirs dont plusieurs experts doutaient qu'ils ne
soient jamais remplis. Le barrage Rafferty fut érigé pour prévenir une
inondation qui pourrait se produire une fois tous les cent ans. Le barrage
Rafferty se trouvait (et c'est purement circonstanciel, j'en suis certaine)
dans la circonscription du premier ministre provincial Grant Devine; quant
au barrage Alameda, il fut érigé dans la circonscription du vice-premier
ministre et ancien sénateur Eric Berntson (vous vous souvenez sans doute
de lui, puisqu'il a été jeté en prison, mais pour une autre affaire).

À
l'occasion, la Souris débordait au Dakota du Nord, avec des inondations
catastrophiques en 1881 et en 1969. Le gouvernement de l'État a par ailleurs
offert 50 millions de dollars à la Saskatchewan pour l'érection des deux
barrages dans la province. C'est le Manitoba qui a insisté le plus pour
procéder à une étude environnementale. Pour conclure une entente avec Devine
dans d'autres dossiers non reliés (comme demander à la Saskatchewan de traduire
ses lois en français), les permis ont été émis en 1988 en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigable;
l'achèvement du parc national des Prairies faisait aussi partie de l'entente.

Le fait que
les médias accordent la même couverture à toutes les inondations me met hors de
moi. La rivière Rouge déborde chaque année. Sans compter que la crise
climatique augmente la probabilité d'assister à des inondations. Le débordement
de la Souris reçoit à peu près la même couverture médiatique. Toujours ces
mêmes images qui défilent sous nos yeux – des sacs de sable qui s'empilent, des
gens qui se promènent dans les rues de la ville en chaloupe. Jamais aucune
explication. On n'apprend pas non plus qu'il s'agit d'une toute petite rivière
qui n'a jamais débordé ainsi auparavant à Souris, au Manitoba. L'histoire de la
Souris est choquante : trois mois d'efforts pour tenter de freiner une
rivière en crue qui, à son niveau le plus élevé, a grimpé jusqu'à
trente pieds au dessus de son niveau habituel. Vous avez bien lu :
« trente pieds au dessus de son niveau habituel. »

 

J'ai scruté
l'actualité en vain pour trouver une mention adéquate du type de rivière qui
requiert aujourd'hui l'attention de 400 membres des forces armées pour
venir en aide aux sinistrés. J'ai trouvé la réponse dans cette remarque du
maire de la ville, Darryl Jackson :

 

« Vingt‑sept
pieds d'eau dans cette petite rivière paresseuse est un
événement tout à fait inouï. C'est sans doute le meilleur terme que j'ai trouvé
pour décrire la situation », a dit Jackson.

Cette
petite rivière paresseuse a réquisitionné l'aide de 400 militaires canadiens
pour sauver la ville. Cette petite rivière paresseuse a forcé
11 000 personnes à abandonner leur foyer à Minot, au Dakota du Nord.
Cette petite rivière paresseuse inonde toute une ville sans répit depuis
trois mois. Cette petite rivière paresseuse a frappé de plein fouet les
agriculteurs de la Saskatchewan et du Manitoba, causé des millions de dollars
de dommages aux petites collectivités locales, et provoqué la perte des réseaux
d'égouts et du réseau électrique.

Bien
entendu, les médias ne mentionnent jamais l'évidence – la crise climatique.
Nous voyons aujourd'hui la partie immergée de l'iceberg de la crise climatique,
un iceberg qui fond, de surcroît. Certains coins de la région ont reçu
l'équivalent de toutes les précipitations annuelles en moins de deux mois.
L'enneigement de l'année précédente, particulièrement élevé, a exacerbé la
situation. Le fait que les changements climatiques provoquent de plus en plus
d'inondations partout au Canada est une conclusion scientifiquement prouvée.
Cependant, je me questionne encore à savoir si la présence des barrages
Rafferty et Alameda a exacerbé la situation ou aidé à atténuer les impacts de
l'inondation. Je consulterai des spécialistes chevronnés pour connaître leur
opinion et je vous rapporterai leurs conclusions bientôt.

Entre
temps, cette petite souris qui rugit nous dit : « Réveillez-vous,
c'est le climat! »