L’attrape-nigaud

Elizabeth May

C’est génial d’être recommandée pour recevoir
l’appui du site Web Catch 22 (l’attrape-nigaud), mais ce n’est pas ce dont je
parlerai dans ce blogue aujourd’hui.

J’aimerais bien vous parler du consortium.

L’attrape-nigaud est le titre d’un roman culte de l’Américain Joseph Heller. [Le titre en anglais, Catch 22, fait référence à l’article 22.]
L’histoire prend place dans une bureaucratie militaire où, peu importe ce que
vous faites, vous avez tort.

Voici un passage du livre :

« L’article 22 stipule qu’un agent
qui applique l’article 22 n’a nul besoin de prouver que l’article 22
contient une quelconque disposition que le transgresseur est accusé d’avoir transgressée. »
Un autre personnage explique : « L’article 22 stipule qu’ils ont
le droit de faire tout ce qu’ils veulent, du moment que nous n’avons pas les
moyens de les en empêcher. »

Le consortium des médias continue de jouer à
l’attrape-nigaud avec le Parti vert. En 2008, alors que Blair Wilson était
député du Parti vert au moment de la dissolution de la Chambre, le consortium a
dit que, puisqu’il n’existait aucune règle, le fait d’avoir un siège ne
changeait rien. Les verts n’ont pas été invités à débattre. À présent, ils
disent que nous n’avons jamais eu de député élu. Deux attrape-nigauds en une
seule phrase. La dernière fois, nous n’avions pas fait élire de député, mais
ils ont plié sous la pression du public. Deuxièmement, en 2008 ils ont dit que
le fait d’avoir un député ne constituait pas une règle.

La dernière fois, les médias ont dit que
j'aurais dû présenter ma candidature quelque part et concentrer tous mes
efforts dans cette circonscription pour être élue. Cette fois, d'après un
communiqué de CBC/Radio-Canada, le consortium pense que je ne peux pas faire
partie des débats parce que les verts ne mènent pas vraiment une campagne
nationale… parce que nous avons fait de l'élection de notre chef une priorité. Chantal Hébert
est du même avis; elle estime que nous faisons campagne dans une seule
circonscription.

Pas une campagne nationale? Le Parti vert
présente 308 candidates et candidats. Nous avons un budget de
2,5 millions de dollars pour la campagne nationale (comparativement à un
budget de 80 000 $ pour Saanich-Gulf Islands). Et j'effectuerai
une tournée nationale du pays, bien qu'elle sera un peu plus courte que la
dernière fois.

Et depuis quand le fait de faire campagne à
l'échelle nationale est-il un critère de participation aux débats? De toute
évidence, Gilles Duceppe ne mettra pas les pieds en dehors du Québec, mais
je suis pénalisée parce que je passe plus de temps dans ma circonscription
qu'en 2008.

Le Globe
and Mail
a interviewé le président du consortium, Troy Reeb, qui a dit
que les verts recevraient quand même une bonne couverture médiatique. « Si
aviez fait le tour des journaux télévisés mercredi soir, vous auriez constaté
qu'Elizabeth May était partout. » Oui, c'est vrai. Mais c'est parce
qu'ils venaient d'annoncer qu'ils ne m'inviteraient pas aux débats. C'était la
nouvelle du jour. Mais regardez les journaux télévisés n'importe quel autre
soir de la semaine et vous y trouverez difficilement une quelconque mention des
verts. Nous avons fait une déclaration majeure chaque jour de la semaine. Avez-vous
entendu parler d'une seule d'entre elles? Aujourd'hui, nous avons tenu une
conférence de presse avec l'ancienne présidente et première dirigeante de la
Commission canadienne de sûreté nucléaire, Linda Keen, qui méritait
amplement d'être signalée par les médias. Nous avons réclamé une enquête sur
l'industrie nucléaire. Les journaux télévisés de fin de soirée en ont-ils
seulement soufflé mot? Non.

Lundi, la campagne de Stephen Harper est
venue à Saanich-Gulf Islands. C'était la deuxième fois en un mois qu'il
visitait mon quartier. L'autobus des médias nationaux a reconduit les
journalistes à environ deux coins de rue de notre bureau de campagne. Les
médias ont cherché à obtenir les commentaires des chefs de l'opposition sur
l'annonce des conservateurs – les chefs du NPD et du Parti libéral. La
couverture médiatique nationale n'a jamais mentionné que la visite avait lieu
dans une circonscription où les verts avaient de bonnes chances de défaire le
député conservateur sortant. Personne n'a communiqué avec les verts pour
connaître notre réaction, et personne n'a repris la réaction que nous avons
publiée.

Mais d'après le consortium, les débats ne sont
qu'une autre façon d'offrir une couverture médiatique et ils offrent de
nombreuses autres occasions de faire connaître nos positions dans les médias.
S'ils tiennent réellement à cet argument, ils pourraient devoir commencer à
couvrir les positions et les politiques que nous défendons.

Le consortium des médias m'a semblé très
déterminé à nous exclure des débats, mais les commentaires de l'ombudsman de Radio-Canada
ont certainement dû le faire réfléchir un peu. Tout comme le fait que deux
anciens premiers ministres du Canada appuient ma participation aux débats (le
très hon. Joe Clark et le très hon. Paul Martin).

L'auteur du best-seller A Short History of Progress (La petite histoire du progrès),
Ronald Wright, a dit ceci :

« Les démocraties sont rares dans l’histoire; elles sont facilement prises
en otage par les tyrans et perdues par négligence. Harper s'en est sorti
beaucoup trop facilement. Bon nombre de Canadiennes et de Canadiens n'ont
aucune idée des torts qu'il a causés à notre constitution et à notre pays, bien
qu'Elizabeth May l'ait certainement à l'œil. À présent, les barons des
médias essaient de l'exclure des débats électoraux. Cette décision est
scandaleuse. Toutes les Canadiennes et tous les Canadiens, qu'ils soient verts
ou non, sont en train de se faire avoir. La voix claire et réfléchie de May
doit être entendue. »

Ce à quoi M. Reeb répond :
« Tout ce que nous voulons, c'est donner un bon spectacle à la télévision. »

Ces explications me paraissent tout à fait
inadéquates si l'on tient compte des commentaires exprimés par l'ombudsman de
Radio-Canada, Julie Miville-Dechêne :

Des centaines de Canadiens envoient des plaintes à mon
bureau pour dénoncer la décision du consortium des télédiffuseurs – dont fait
partie Radio-Canada – d’exclure Elizabeth May, du Parti vert, du débat des
chefs. Pour ces citoyens, il s’agit d’une décision anti-démocratique qui
empêche la diffusion d’idées pour lesquelles près d’un million d’électeurs ont
voté en 2008. À titre de représentante du public, je suis sensible à ces
arguments. Durant toute campagne électorale, Radio-Canada, en tant que
diffuseur public, a la responsabilité de diffuser le plus de débats d’idées
possibles, avec le plus de candidats possibles, d’expliquer les enjeux et les
programmes, afin que les électeurs puissent faire un choix éclairé.

[…]

J’ai déjà insisté dans la passé [sic] sur l’importance de la
transparence dans les critères retenus. Là-dessus, on n’a fait aucun progrès.
Les citoyens trouvent difficile à avaler que quelques patrons de presse et des
stratèges politiques décident à huis clos d’inclure ou d’exclure tel ou tel
politicien. Après coup, un bref communiqué est émis pour justifier les choix.
Le consortium a expliqué cette fois que la décision d’exclure Elizabeth May
était basée sur « l’application de principes journalistiques et sur le
fait que le Parti vert du Canada n’a jamais élu un député à la Chambre des
communes ». Plutôt vague comme explication : de quels principes
journalistiques parle-t-on ici? En 2008, le Parti vert n’avait pas non plus
fait élire de député, il n’avait qu’un transfuge au Parlement. En 2008, c’est
la colère exprimée par les citoyens qui a incité les chefs des partis à faire volte-face
sur la participation de Mme May. Le consortium s’est plié à cette volonté.

Plus j'y pense, et plus je trouve que le
consortium est moins comme Joseph Heller, et plus comme Ring Lardner,
qui a écrit un résumé classique de ma situation : « Tais‑toi »,
qu'il a dit.