En mémoire de Dan Yakimchuk

Elizabeth May

Je sais que les gens s’attendent sans doute à lire quelque chose sur les élections, et j’écrirai effectivement beaucoup sur les élections. Mais une autre fois.

Un très cher ami à moi est décédé. Il était brave et courageux lorsque les autres avaient peur. Il exposait des vérités quand d’autres auraient souhaité qu’elles demeurent cachées. Bien que mon cœur soit rempli de tristesse et d’incrédulité par son départ, je souhaite partager avec vous certaines choses qui font que Dan Yakimchuk était un héros.

Dan est né le 29 septembre 1929 de parents ukrainiens qui avaient fui la révolution de 1917 pour s’établir à l’île du Cap-Breton. Dan fut d’abord un marchand, mais en 1949 il fut embauché à l’aciérie. Il militait activement au sein de son syndicat pour contrer des pratiques de gestion injustes et arbitraires. Les conditions de travail étaient abominables et les accidents, fréquents.

Dans les années 1970, il a remarqué que les travailleurs qui partaient à la retraite ne semblaient pas vivre assez longtemps pour récolter leur premier chèque de pension. Lorsque d’autres travailleurs, dont certains étaient de bons amis, ont demandé à Dan de se taire, il fut l’une des seules voix à s’élever pour demander si ces nombreux décès prématurés pouvaient être attribuables à la soupe toxique qui les entourait, aux nuages de fumée qui s’échappaient du four de cokéfaction alimenté au charbon sale.

En insistant pour que ses amis et le syndicat reconnaissent que l’usine tuait les gens, Dan nageait à contrecourant. Un vieil ami à lui m’a dit un jour : « Dan était comme un serin dans une mine de charbon. Nous refusions de l’entendre parce que nous avions vraiment besoin de ces emplois. »

J’ai rencontré Dan lorsque je militais contre la pulvérisation des tordeuses de bourgeons dans les années 1970. Notre amitié a survécu aux années 1980, quand il m’a fait des remontrances après que j’aie accepté de travailler pour le gouvernement (« il m’a traitée de vendue ») puis a connu un regain lorsque nous avons lutté ensemble pour le nettoyage des étangs de goudron de Sydney. Lui et sa merveilleuse épouse Clotilda comptaient parmi mes plus proches amis. Le mariage de Dan et Clotilda était exceptionnel. Exceptionnel parce qu’ils se sont aimés tellement et tellement bien pendant 27 années. Exceptionnel parce que ce fut l’un des seuls mariages interraciaux à Sydney.

Dan a toujours été assoiffé de justice. Il ne pouvait pas accepter le racisme ou le préjudice, et c’est en partie ce qui l’a amené à réclamer justice pour le militant m’ikmaq Donald Marshall. Feu Donald Marshall avait été injustement condamné et emprisonné pour un meurtre qu’il n’avait pas commis. L’ami de Donald, Sammy Seale, avait été poignardé à mort dans un parc de la ville. Son ami appartenait à la communauté noire de Sydney. Dan, qui était devenu conseiller municipal, avait entendu un agent de police dire à quelqu’un : « Comme ça, on est débarrassé de l’Indien et du nègre. » C’était le même agent qui avait malmené Dan quand il était encore un enfant. Il entendit cette remarque, l’imprégna dans sa mémoire et fut convaincu de l’innocence de Donald Marshall.
   
Dan n’avait pas besoin de prêtre ou de religion. Il savait que j’étais croyante et pratiquante et nous pouvions débattre de presque tous les sujets philosophiques ou religieux pendant des heures. Il adorait me parler du prêtre qui lui avait dit que s’il restait au syndicat, il irait en enfer. Dan aimait beaucoup en rire et raconter comment il lui avait répondu : « Mon père, vous savez bien que la seule chose qui cloche avec l’enfer est qu’on ne peut jamais s’approcher du feu à cause des maudits prêtres! »

Dan lisait tout le temps. S’il un nouveau livre était publié sur la théorie politique, la justice sociale, l’hégémonie des grandes sociétés ou la mondialisation, je savais que je le retrouverais chez Dan la prochaine fois que je lui rendrais visite.

Je pourrais parler de lui encore longtemps. Je pourrais remplir des pages entières en parlant simplement de son amour pour sa famille, ses enfants et ses petits-enfants. Militer était toute sa vie. Dan Yakimchuk était unique. Il est décédé le 19 mars 2011 d’un cancer diagnostiqué récemment. Il nous a quittés prématurément. Nous avons encore immensément besoin de sa quête assidue de la vérité, de sa voix et de sa colère. Il nous manquera beaucoup.