Le « nettoyage » des étangs de goudron voué à l’échec

Elizabeth May

CBC News annonçait aujourd’hui que le commencement du nettoyage des étangs de goudron. La pire décharge de déchets toxiques du pays sera complètement restaurée d’ici le milieu des années 1990.

Faux. Erreur sur le communiqué de presse. C’était celui de 1986 annonçant le premier nettoyage raté. Le fameux incinérateur qui n'a jamais fonctionné.

Le 23 mars 2010 commençait la plus récente tentative de nettoyage à ce jour – aussi vouée à l’échec. Cette fois, le projet consiste à enchâsser dans du béton 700 000 tonnes de déchets toxiques et des tonnes d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), y compris des sols chargés de PCB. Le site contaminé, d’une superficie de cent acres, n’est pas réellement un étang, mais un estuaire. Ce projet prévoit donc la dérivation du cours d’eau et le séchage des sédiments pour permettre l’ajout et le mélange du béton. Les cours et les sous-sols des résidents, contaminés avec de fortes concentrations d’arsenic et de plomb, ne seront pas nettoyés. Seules les terres situées à l’intérieur de la zone où se trouvaient les fours à coke et les aciéries font partie du projet de nettoyage de 400 millions de dollars voué à l’échec.

Au moment d’écrire ces lignes, j’entends déjà le tollé de protestations des promoteurs de cette solution. « C’est une méthode efficace », affirmait le gestionnaire du projet sur la CBC hier. « Elle a été utilisée ailleurs dans le monde avec de bons résultats. »

Les gouvernements fédéral et provincial ont choisi d’ignorer toutes les preuves qui confirment que c’est loin d’être le cas.

Le premier problème soulevé pendant le processus de 62 millions de dollars du Groupe d’action conjointe (GAC) est que les citoyennes et les citoyens de Sydney ne veulent pas de cette approche. Au contraire, ils préfèrent largement un vrai nettoyage qui permettra d’enlever et de nettoyer les sédiments et d’enlever les PCB. Cette technologie existe. Elle a été développée pour nettoyer les sols contaminés par les opérations pétrolières dans les sables bitumineux de l’Alberta.

En dix ans, le GAC a eu l’occasion d’examiner plusieurs technologies. Toutes les expériences faites pour ajouter du ciment aux sédiments des étangs de goudron ont échoué. Au lieu de durcir avec le temps, les analyses ont démontré que le ciment s’affaiblissait.

Une Commission mixte fédérale-provinciale d'évaluation environnementale a été mise sur pied au printemps et à l’été 2006. La Sydney Tar Ponds Agency (STPA) est arrivée avec sa solution d’enchâssement dans le béton. Cette technologie s’appelle « solidification et stabilisation » ou « technologie S/S ». Des spécialistes sont venus témoigner, dont l’éminent G. Fred Lee, l’auteur des spécifications de l’Agence des États-Unis pour la protection de l’environnement pour l’utilisation de la technologie S/S.

M. Lee a expliqué que cette solution ne pouvait pas fonctionner. La technologie S/S fonctionne uniquement pour les décharges où les sédiments peuvent se lier au béton et durcir. Les sédiments des étangs de goudron se composent à 50 % de charbon. En termes chimiques, on parle d’une forte teneur en matières organiques. Il n’existe aucun exemple dans le monde où la technologie S/S a été utilisée sur des sédiments avec une teneur en matières organiques aussi élevée que celles des étangs de goudron de Sydney.

Le rapport de la Commission fédérale-provinciale abonde d'ailleurs en ce sens. « La Commission n’est pas convaincue que la solidification/stabilisation soit une technologie éprouvée dans le cas des étangs bitumineux – c’est-à-dire appliquée à des contaminants organiques sur des sédiments organiquement enrichis dans un estuaire potentiellement soumis à l’afflux des eaux souterraines et de l’eau de mer. »

La Commission a formulé de nombreuses recommandations – la STPA devrait recevoir des fonds uniquement si elle parvient à prouver que la technologie fonctionne, et chaque étape du projet devrait être surveillée. Aucune de ces recommandations n’a été mise en œuvre. En fait, je serais la première surprise si les ministres provincial et fédéral avaient seulement pris la peine de lire le rapport.

Lorsque le NPD a remporté les élections provinciales en juin 2009, j’espérais qu’il aille de l’avant avec les recommandations de la Commission. Peine perdue. À peine quelques jours après les élections, le gouvernement Dexter a signé la même entente élaborée par le gouvernement conservateur précédent.

Ce gaspillage de fonds publics (80 millions de dollars pour l’échec de l’incinérateur, 62 millions de dollars pour le processus du GAC et maintenant 400 millions de dollars pour la technologie S/S) devrait suffire à faire enrager les Canadiennes et les Canadiens. Mais ce sont les impacts sur la santé humaine qui m’attristent au plus haut point. Cette solution fait fi de la réalité sinistre des gens vivant dans les collectivités voisines de ces étangs contaminés par des déchets toxiques, déjà affligés par de nombreux problèmes de santé. En fait, les contaminants organiques volatils qui s’échapperont pendant le processus de séchage des sédiments pour traverser la rue (les étangs de goudron sont entourés de zones résidentielles) rendront les gens encore plus malades. Les répercussions des étangs de goudron sur la santé humaine continuent d’être ignorées; cette triste réalité devrait nous inciter à joindre notre voix à celles des habitants de Sydney pour réclamer un vrai nettoyage.

Mais les gens de Sydney sont fatigués. Après plus de 20 ans de ratées et de faux espoirs, ils sont trop épuisés pour crier leur mécontentement. Les pollueurs s’en sortent encore une fois. Les contrats sont déjà émis. Rien ne sera nettoyé.

(Pour de plus amples renseignements sur ce dossier, lisez mon livre, coécrit avec Maude Barlow, Frederick Street: Life and Death on Canada’s Love Canal, ou visitez le www.safecleanup.com)