Est-ce le temps de fixer de nouveaux objectifs?

Elizabeth May

L’autre jour, le Globe and Mail a publié un éditorial dénonçant l’excellent rapport commandité par la Banque Toronto Dominion, préparé selon les modèles économiques de Mark Jaccard and Associates et rédigé par le Pembina Institute et la Fondation David Suzuki. Le rapport de la Banque TD évaluait deux ensembles d’objectifs : les cibles minimales établies par la science (réduction de 20 % par rapport aux émissions de 1990) et les cibles fixées par Harper (réduction d’environ 3 % d’ici 2020 par rapport aux émissions de 1990). Il y est démontré que ces objectifs sont réalisables dans les deux cas et permettraient à l’économie canadienne de croître. La croissance serait moindre dans certaines provinces et plus élevée dans d’autres. Il est indiqué dans ce rapport qu’avec ses politiques gouvernementales actuelles, le gouvernement Harper n’a aucune chance d’atteindre ses modestes et irresponsables objectifs. 

Allez consulter les sites du Pembina Institute et de la Fondation David Suzuki pour lire le rapport en entier. Il est excellent.  

C’est la suggestion de l’éditorial du Globe selon laquelle si le Canada a de la difficulté à atteindre ses objectifs, il est temps d’en fixer des nouveaux, qui m’a poussée à écrire cet article. C’est un éclair de génie. Je me demande pourquoi nous n’y avons pas pensé avant! Attendez. Nous l’avons fait! 

C’est du déjà vu et nous n’allons nulle part. 

Juin 1988 

La première conférence scientifique internationale de grande ampleur a eu lieu en 1988, pendant la dernière semaine de juin : « L’atmosphère en évolution : implications pour la sécurité du globe ». L’objectif de cette conférence est connu sous le nom de « cible de Toronto » et a été adopté par des villes partout dans le monde, à commencer par Toronto. 

Première étape : réduire les émissions de 20 % par rapport au niveau de 1988 avant 2005.

Mai 1990 

Annonce de la première cible officielle du gouvernement du Canada par le ministre de l'Environnement, Lucien Bouchard, lors des réunions de l'ONU à Bergen, en Norvège. Le Cabinet Mulroney l’a adoptée par la suite (après le départ de Bouchard).

Geler les émissions de gaz à effet de serre et faire en sorte qu’elles ne soient pas plus élevées en 2000 qu’en 1990.  

Automne 1993 

Dans son « Livre rouge » libéral, Jean Chrétien adopte la « cible de Toronto ».

Réduction de 20 % des émissions par rapport au niveau de 1988 avant 2005. 

Octobre 1997 

En prévision des négociations à Kyoto, les provinces et le gouvernement fédéral acceptent de réduire leurs émissions de 3 % par rapport au niveau de 1990 entre 2008 et 2012.

Décembre 1997 

Pendant les négociations à  Kyoto, le Canada a obtenu des concessions sur l’échange de droits d’émissions de carbone, sur les crédits pour les forêts et sur d’autres « mécanismes de flexibilité » qui, selon Chrétien, fourniraient les 3 % supplémentaires demandés au Canada par l’administration Clinton pour aider les É.-U. à atteindre la réduction de 15 % demandée par l’UE. Le Canada a donc fixé son objectif à 6 %, les États-Unis, à 7 % et l’UE, à 8 %.

L’objectif de Kyoto du Canada : réduction de 6 % par rapport aux émissions de 1990 avant 2008-2012. Le Canada a signé et ratifié le Protocole de Kyoto, qui est devenu ainsi une obligation internationale juridiquement contraignante.

Les objectifs sont restés les même pendant le règne des libéraux, mais les plans pour les atteindre ont changé. Un plan volontaire (MVR) a été remplacé en 2002 par un plan presque entièrement volontaire, puis en avril 2005, par le premier plan sérieux sur les changements climatiques. La 11e Conférence des Parties a débuté à Montréal le 28 novembre 2005. Le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin a été défait le même jour. Le 10 décembre 2005, la 11e CP s’est conclue avec l’engagement de terminer les négociations post-Kyoto en 2009 à la COP15 (qui doit avoir lieu à Copenhague). 

Après son élection, Harper a annulé tous les plans sur les changements climatiques et a répudié les objectifs de Kyoto.  

Mars 2006

L’objectif du gouvernement Harper : une réduction de 20 % par rapport aux émissions de 2006 avant 2020. En 2006, les émissions de gaz à effet de serre étaient 24 % plus élevées qu’en 1990 (l’objectif de Harper correspond donc à une réduction de 3 % par rapport aux émissions de 1990). Toutes les analyses du plan réalisées par des experts démontrent qu’il n’y a pas de mécanismes en place pour atteindre cette modeste cible.

Après la parution de cet éditorial incroyablement mal renseigné, le haut-commissaire du Royaume-Uni auprès du Canada, Anthony Carey, a fait publier une lettre dans le Globe. Il a expliqué à raison que ces objectifs n’étaient pas des inventions politiques. Ce sont de vrais impératifs reposant sur la science. Et il a tout à fait raison. L’humanité ne peut pas négocier avec l’atmosphère.  

Les pays qui ont atteint leurs objectifs partagent la même stratégie : ils n’ont pas changé d’avis et n’ont pas adopté d’objectifs moins ambitieux. Nous devons faire de même.