Trauma Farm

Elizabeth May

J’ai rencontré Brian Brett pour la première fois en 1993, lorsque lui et Bill Deverell ont organisé une collecte de fonds géniale au profit de la réserve Clayoquot Sound. Cette collecte a eu lieu à Vancouver, était animée par Pierre Berton et comprenait la lecture de textes littéraires par Margaret Atwood, Farley Mowat et une pléthore d’artistes. Brian avait déjà acquis une bonne réputation en tant que poète et romancier à l’époque, et il était mieux connu comme l’avocat devenu auteur dont le livre, Street Legal, a été adapté en série au petit écran.

L’un des grands avantages d’avoir déménagé dans la circonscription de Saanich Gulf Islands est de vivre dans la même région que certains amis formidables rencontrés trop brièvement et qui apportent maintenant leur appui sans bornes. D’ailleurs, Bill Deverell est en train de transformer le lancement de son nouveau livre, Snow Job, en une campagne de financement nationale pour le Parti vert (mais ça, c’est une autre histoire).

J’aime les livres. J’en lis toujours trois ou quatre à la fois (un pour les déplacements en traversier et en avion, un avant le coucher (à Sidney), un autre au lit à Ottawa et ainsi de suite...). Je ne crois pas avoir déjà écrit un article pour vous convaincre d'acheter un livre; c'est donc une première.

Brian Brett a écrit un mélange de mémoire, de thèse et de critique décapante sur l’agriculture mondialisée moderne. Ce livre est intitulé Trauma Farm : A Rebel History of Rural Life (Greystone Books, Vancouver, 2009). Dans ce livre, Brian affirme qu’il est l’équivalent canadien de Wendell Berry… D’accord, mais plutôt comme un refrain en harmonie.

Le livre est amusant. Des mésaventures à la campagne de poulets en cavale et de chevaux récalcitrants, de fermiers maltraités et meurtris et une perception aiguë de l’absurdité de l’univers, du moins de l’existence personnelle. L'histoire semble n'avoir ni queue ni tête puis vous découvrez la méthode dans cette folie. Voilà un traité sur la conservation des semences par rapport aux OGM. Puis une analyse du « piège du progrès » que pose l’agriculture moderne. Des dangers et de la nature trompeuse des pesticides.  

Le livre au complet sert d'avertissement contre la surréglementation qui menace d'éradiquer les petites fermes -- avec quoi seront-elles remplacées? Une orgie d’OGM dont la monoculture et la faible diversité génétique rendront vulnérable le système alimentaire en entier? Des œufs importés de Chine?  

Chaque fois que je rencontre des agriculteurs et des éleveurs, le problème reste le même. La production alimentaire locale, soit la production d’aliments sains, garantis biologiques ou provenant simplement de la région, est menacée par les industries agricoles mondialisées. Systématiquement, la surréglementation qui avantage d’abord la mondialisation de l'agriculture pousse l'infrastructure qui soutient l’agriculture locale à cesser ses activités. Nous perdons des conserveries, des abattoirs, des laiteries et des crémeries ainsi que toutes les structures qui sous-tendent la production alimentaire locale.  

Le style de rédaction de Brian Brett lui permet de décrire toutes ces situations avec l’éblouissement de la personne impressionnée : « Nos esprits ne peuvent pas comprendre les multiples intersections des diverses interactions au sein d'une ferme : c’est une carte stellaire mystique dont les interconnections sont plus vastes que l’imagination humaine et vont bien au-delà du piège réductionniste de la logique qui a mené à l’euphorie de la mondialisation. »

Ou plus simplement : « Si vous jardinez avec un objectif, vous êtes fichus. »

Brett refuse d’idéaliser la vie à la ferme. « Nous vivons sur un fond de mythes modernes, que ce soit la propagande de libre entreprise des industries agricoles nous montrant leurs produits dans des champs baignés de soleil, ou la vision rose des petites fermes glorifiée par les enthousiastes éco-urbains qui ne voient pas la saleté, le travail abrutissant, le sang et les dangers d’une vraie ferme mixte. »

Pour prendre une saine portion de bon sens mariné dans l’absurde, lisez Trauma Farm.

(Je pense avoir entendu la radio de la CBC annoncer que Brian donnerait une entrevue à Shelagh Rogers à propos de son livre dimanche prochain).