L’espoir contre la peur : la ligne est maintenant tracée

Elizabeth May

Au sud de la frontière, un vent de changement balaie le pays. Le président élu, M. Barack Obama, a tendu la main à d’anciens rivaux politiques, comme la sénatrice Hillary Clinton, et même à des membres du cabinet de George W. Bush, comme le secrétaire de la Défense, M. Robert Gates. Il s’agit là d’une preuve de maturité et d’audace en matière de risques politiques dans l’intérêt commun de la population, ce que les médias canadiens saluent avec un certain respect.

Lorsque d'anciens adversaires politiques s'unissent à Ottawa dans l'intérêt de la population, les réactions sont assez différentes. Avec la machine d’attaque de Harper réglée à sa puissance maximale, les détracteurs du gouvernement de coalition essaient de mettre à profit toutes les questions controversées soulevant les passions. Les Libéraux sont accusés de travailler de concert avec les socialistes. Les Bloquistes sont accusés de tendre la main aux fédéralistes. Les Néo-démocrates sont accusés de collaborer avec les séparatistes. En fait, ce sont ces attaques qui sont les plus inquiétantes. Dans son désespoir à vouloir s'accrocher au pouvoir, M. Harper et ses alliés cherchent à diaboliser le Québec, ce qui pourrait créer des résultats fâcheux : l'éloignement accru de l'Ouest canadien et l'augmentation du sentiment de mécontentement au Québec.

Arrêtons-nous un instant pour réfléchir à ce qui se passe. Nous assistons actuellement à la naissance d’une politique plus mature et plus coopérative grâce aux Libéraux, aux Néo-démocrates et aux Bloquistes. Les trois chefs et leurs partis font preuve d’une bonne volonté rarement observable et grandement appréciée dans le but de travailler ensemble, en ignorant leur haine historique, presque ancestrale, dans l'intérêt du Canada. Je connais assez bien chacun de ces hommes. Si vous m’aviez dit il y a trois mois qu'ils seraient en mesure de mettre de côté leur animosité pour servir leur pays, je ne suis pas sûre que j’aurais pu vous croire. Pourtant, malgré le cynisme dont pourraient faire preuve certaines personnes, c'est exactement ce que les chefs des trois partis sont en train de faire. Contrairement à M. Harper, ils font de leur pays la priorité. Je suis fière de chacun d’entre eux, car ils ont réussi à atteindre un nouveau degré de maturité et de courage politique.

En effet, les Rush Limbaugh des ondes canadiennes alimentent la méfiance et la haine juste au bon moment pour M. Harper. Mais il n’y a rien d’illégitime ou de non élu dans cette coalition. Les députés qui forment cette dernière ont tous été dûment élus. Dans notre pays, nous élisons les députés, puis ceux-ci forment le gouvernement. Il est vrai que « l’américanisation » grandissante de notre Parlement nous empêche de voir les différences fondamentales qui existent entre notre système et celui des États-Unis, mais nos deux systèmes sont bel et bien différents. En fait, la différence est beaucoup plus profonde que le seul fait d’élire un premier ministre au lieu d'un président. Nous élisons d’abord un Parlement, puis le gouverneur général vérifie sa composition pour savoir quel groupe de députés est le mieux disposé à former le gouvernement. En situation de gouvernement minoritaire, si un parti ne réussit pas à obtenir la confiance de la Chambre des communes, il est tout à fait juste pour les autres partis d'offrir de prendre la relève afin d'éviter au pays des élections inutiles.

C’est ainsi qu’une démocratie parlementaire fonctionne. Il se peut que la situation ne plaise pas à M. Harper, mais il ne s’agit pas là d’un phénomène malsain.

J’ai écrit dans mon blogue par le passé au sujet d’un petit ouvrage très intelligent, dont le titre est « Two Cheers for Minority Government », qui a été rédigé par un politicologue de l’Université de Toronto, M. Peter Russell. Dans ce livre, M. Russell présente des arguments montrant que notre démocratie parlementaire devrait mettre en application une meilleure façon de travailler en collaboration. Premièrement, nous avons de plus en plus de gouvernements minoritaires. Deuxièmement, notre Parlement est composé de plusieurs partis. Cette coalition est une excellente adaptation à cette réalité et est totalement en conformité avec la démocratie parlementaire. Pour citer M. Russell, « dans un gouvernement minoritaire, les dirigeants du parti au pouvoir doivent prendre le Parlement au sérieux en tout temps… la survie du gouvernement dépend de sa capacité à prendre en considération les points de vue qui diffèrent du sien. »

Russell raconte également de quelle façon durant toute la Deuxième Guerre mondiale, sir Winston Churchill a insisté pour que les sessions parlementaires se poursuivent afin de laisser place à des débats d’orientation politique vigoureux. Il n’y a rien de churchillien dans l'évitement d'un vote à la Chambre des communes. Il n’y a rien de churchillien non plus dans le fait d’ignorer et de diaboliser les partis de l’opposition. En fait, ce n’est pas une action digne de l’esprit canadien.

Le gouvernement Harper semble prêt à causer de véritables dommages à notre pays en semant la division dans une tentative désespérée de s'accrocher au pouvoir. Les Conservateurs ont perdu la confiance de la Chambre. Ils devraient faire le geste honorable de soumettre la question à un vote. Le fait qu’il soit très peu probable que M. Harper procède de cette manière est seulement une preuve supplémentaire de son inaptitude à diriger une démocratie parlementaire. Faisons entendre le message positif de l’espoir. Bannissons la peur. Nous devrions célébrer la sagesse et l’esprit de coopération qui ouvrent la voie à un vent de fraîcheur dans la vie politique canadienne.