Le climat : il est temps de faire le nécessaire

Elizabeth May

J’écris ce texte dans le train qui me ramène de New York au Canada. La dernière fois que j’ai fait ce voyage, c’était en septembre 2014, je revenais de la Mobilisation populaire pour le climat. Ma fille et moi marchions en compagnie de 400 000 personnes dans les rues de New York, dans l’intention avouée de contribuer à la réussite des pourparlers sur le climat. Ma pancarte favorite ce jour-là expliquait : « Il est temps de cesser de discuter de ce qui est possible et de commencer à faire ce qui est nécessaire. »

Cette seule phrase résumait notre débat actuel : certains veulent continuer d’argumenter sur ce qui est possible, tandis que nous autres comprenons que nous allons manquer de temps pour faire le nécessaire.

En septembre 2014, nous faisions pression pour que les pourparlers de la COP20 de Lima aillent assez bien pour créer un effet dynamique sur la COP21 2015 de Paris. Mais, comme les commentaires l’ont bien démontré, des personnes sérieuses peuvent diverger d’opinion quant au degré de satisfaction des demandes de la rue qu’apporte l’Accord de Paris. Pour compliquer cette évaluation, il y a eu beaucoup de reportages déconcertés et déconcertants.    

Dans presque tous les articles de presse sur l’Accord de Paris, les nouvelles cibles climatiques et la manière de les atteindre, il y a des erreurs récurrentes. La répétition régulière de ces erreurs n’est pas seulement frustrante, elle est dangereuse. 

Si nous ne comprenons pas la menace de la crise climatique, en particulier son urgence, les forces des politiques de stagnation peuvent l’emporter. Au contraire d’autres crises, l’irréfléchi a ici l’avantage de se revêtir lui-même du terme « raisonnable ». Quand votre maison passe au feu, une personne raisonnable dit : « Sortez vite ». Personne n’accepterait qu’un pompier dise : « Sortez les guimauves. Nous avons encore le temps. » 

Le problème est d’assortir ce que l’Accord de Paris exige des États à ce que le Canada a depuis si longtemps promis de faire, et ce qu’il en coûte pour y arriver. J’ai lu de nouveaux articles qui présument que la cible du Canada s’harmonise aux objectifs de Paris, ce qui est faux. J’ai lu des articles qui présument que la nouvelle administration libérale du premier ministre Trudeau a adopté la mince cible climatique du précédent gouvernement. Ce n’est pas le cas. J’ai lu des articles qui prétendent que l’Accord de Paris n’est pas légalement contraignant. C’est le cas.   

Ces enjeux tendent à s’embrouiller. Même l’une de mes sources d’information les plus respectées, le bureau du directeur parlementaire du budget, a cette semaine vacillé dans l’erreur.    

Commençons par les objectifs de l’Accord de Paris. C’est un tournant décisif. Pour la première fois, 195 États ont accepté pour l’essentiel que nos économies s’affranchissent des carburants fossiles. L’accord prévoit une réduction des émissions suffisante pour éviter que la température mondiale moyenne ne dépasse celle d’avant la révolution industrielle de plus de 2 °C, tout en luttant pour préserver la planète en s’en tenant à une augmentation maximale beaucoup plus sécuritaire de 1,5 ° C. Il est donc implicite de maintenir les concentrations de GES à moins de 425-450 parties par million. Et cette mesure entraîne des réductions draconiennes des émissions de GES.

La structure de l’Accord de Paris oblige les États à élaborer leurs propres plans, tant pour les cibles de réduction des émissions et de l’adaptation que pour le financement de l’aide aux pays les plus pauvres, avec le secrétariat des Nations Unies sur les changements climatiques. Ces cibles peuvent être éliminées en tout temps, mais seulement pour être remplacées par des cibles plus rigoureuses. C’est la caractéristique de « l’escalade inexorable » de l’Accord de Paris.  

Le total courant de toutes les cibles proposées de tous les pays, si atteint, nous classe dans une fourchette d’augmentation de la température mondiale moyenne de 2,7 à 3,5 ° C. Toute personne au fait de la science climatique reconnaitra dans ces températures une menace à la civilisation humaine elle-même. Elles ne sont pas uniquement des « cibles ratées », elles suggèrent des « espèces ratées. »

Nulle personne ayant négocié l’Accord de Paris ne peut avoir l’impression que notre travail est maintenant terminé. Notre travail ne fait que commencer.    

De toutes les cibles courantes proposées, celles du Canada se classent parmi les plus faibles. Tandis que les nations européennes promettent de réduire les GES de 40 % sous les niveaux de 1990 d’ici 2030, la promesse du Canada est même plus faible que celle des É.-U., en fait la plus faible de tous les pays du G7. Notre année de référence est 2005, quand les émissions étaient beaucoup plus élevées qu’en 1990. Et notre année d’échéance est de 5 ans plus tardive que celle des É.-U. Sous l’ancien premier ministre Stephen Harper, le Canada avait promis de réduire les émissions de 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.

Si le Canada veut obtenir un peu de crédibilité quand il s’agit de ratifier et de signer l’Accord de Paris, notre cible doit recevoir une forte impulsion. Il est temps d’arrêter de discuter de ce qui est possible et de commencer à faire ce qui est nécessaire.

Mais il y a une riposte. Même si Catherine McKenna, ministre d’Environnement et changement climatique Canada, a toujours qualifié la cible de Harper de « plancher », les forces se rassemblent pour sceller cet objectif dans le béton. Gardons à l’esprit que Harper n’a jamais consulté les provinces (ni quiconque) avant d’établir cet objectif. Son gouvernement n’a pas davantage élaboré de plans. Ed Fast, porte-parole des Conservateurs en matière de climat, établit un nouveau record d’hypocrisie en critiquant Trudeau pour être bien préparé à atteindre la cible de Harper. Cela revient à avouer qu’à chaque annonce climatique des Conservateurs de Harper, il aurait fallu mettre un petit astérisque menant à une note de bas de page : « C’est une blague! »

Il existe un document du Cabinet préparé pour l’administration conservatrice montrant que la cible de 30 % sous 2005 d’ici 2030 était mise de l’avant. Il suggérait que le Canada cherche à acheter des crédits des autres pays.

Cette idée me conduit là où le document du BPM montre deux erreurs graves. Premièrement, le BPM doit être félicité pour avoir entrepris ce travail. Il repose sur le document de la TRNEE qui date de quelques années et évalue le coût par tonne de réductions au Canada. Il examine également la fixation du prix du carbone en fonction de ceux qui calculent le montant auquel il faudrait fixer le prix du carbone pour atteindre nos cibles, par cette méthode seule. L’évaluation du BPM de ce qu’il en coûtera à chaque Canadien se fonde sur l’hypothèse d’une réduction de coût de 100 $/tonne.  

Cependant, c’est une sorte de moment « tout le monde sur le pont ». La fixation du prix du carbone n’est qu’une méthode. Améliorer l’efficience énergétique, embaucher des bataillons de charpentier, d’électriciens et de plombiers pour réduire de 30 % les émissions de GES qui s’échappent de nos édifices qui fuient, améliorer le réseau électrique est-ouest pour transporter de l’énergie renouvelable verte d’une province à l’autre, tout cela accélérera l’affranchissement des carburants fossiles. La fixation du prix du carbone est une étape nécessaire, mais elle n’est pas en elle-même suffisante, et en elle-même elle est trop coûteuse.

Davantage, en réduisant les GES assez rapidement pour éviter le 1,5 degré, nous serions bien avisés de consacrer des ressources aux réductions des pays en développement où le prix par tonne est plus bas. Les assertions du document du Cabinet du précédent gouvernement disaient vrai à ce propos. Mais le document du BPM omet cet aspect si la cible de 1,5 degré est atteinte. L’atmosphère ne tient pas compte de la provenance des GES; une tonne de GES de l’Inde ou du Venezuela a les mêmes répercussions sur le réchauffement qu’une tonne canadienne.      

Deuxièmement, le BPM doit être félicité aussi d’avoir compris que la cible actuelle du Canada ne permet même pas d’atteindre le niveau recherché de 2 ° C. Ainsi, le BPM a qualifié la cible actuelle de Harper de « provisoire ». Cela signifie que d’ici 2030 nous avons le temps de fixer une cible plus rigoureuse. Mais nous ne l’avons pas. Le dioxyde de carbone émis aujourd’hui contribue puissamment au réchauffement de l’atmosphère pendant encore 100 ans. Comme l’a expliqué le secrétaire général Ban Ki-moon cette semaine, lors de la cérémonie de signature aux Nations Unies durant le Jour de la Terre, la fenêtre se ferme rapidement sur nos possibilités de maintenir la température moyenne mondiale sous les 1,5 degré. Nous devons relancer les cibles plus rapidement et partout.

C’est là que le Canada peut assumer la fonction la plus importante. Nous devons mener quand il s’agit de resserrer nos cibles. Nous devons additionner tous les plans provinciaux actuels et exiger davantage des gouvernements provinciaux tout en pressant le gouvernement fédéral d’utiliser toute sa compétence et ses pouvoirs pour être beaucoup plus dynamique. Heureusement, investir dans les infrastructures vertes aidera notre économie. Heureusement, rattraper les investissements des autres pays dans les technologies propres et les technologies vertes créera plus d’emplois.    

Le risque ne réside pas dans le fait d’en faire trop pour juguler la crise climatique. La menace réside dans la complaisance inconsidérée et l’appel des sirènes à « être raisonnable ».