Le nivelage par le bas de la diplomatie

Elizabeth May

On pourrait penser que la nomination du nouvel ambassadeur canadien au Vatican était une affaire sans grande conséquence. Mais cette affectation en plein milieu d’un été chaud en matière de conflits mondiaux a été la goutte qui a fait déborder le vase de l’Association professionnelle des agents du Service extérieur (APASE). L’organisation, qui représente plus de 1500 diplomates en service et à la retraite, a publié une déclaration en dénonçant une décision qui a dépassé les rangs professionnels du Service extérieur. Plus exactement, cette sortie publique fait état d’un nouveau modèle dans les nominations récentes.

Dennis Savoie est décrit comme un membre important des Chevaliers de Colomb, un fervent catholique et un militant anti-avortement. Il a été cadre chez Énergie Nouveau-Brunswick et directeur général de l’Association des foyers de soins du Nouveau-Brunswick. Selon le journal Ottawa Citizen (6 août 2014, « Diplomat union deplores ambassadorial appointment trend ») « il aurait comparé l’avortement à la mort des victimes des attaques terroristes du 11 septembre ».

Tout en précisant que l’Association réserve son jugement sur la pertinence de la nomination de M. Savoie, le président de l’APASE, Tim Hodges, affirme que l’organisation « déplore la décision du gouvernement de nommer à nouveau un non-diplomate dans un poste d'ambassadeur ».

Le rôle du Canada dans le monde a été renforcé par notre Service des délégués commerciaux (établi en 1894) et le Service extérieur (établi en 1926). Ensemble, ils ont facilité la mise en place de politiques nationales qui n’auraient pu être atteintes qu’à travers un engagement mondial. Les nominations politiques ont toujours existé avant Stephen Harper. Certains gouvernements précédents ont vendu des résidences et des ambassades.

Il n’en demeure pas moins que Stephen Harper a fait preuve d’un manque de respect inégalé par tous les autres premiers ministres avant lui envers le Service extérieur. Nommer le plus combatif de ses ministres, John Baird, au ministère des Affaires extérieures illustre bien ce que l’on pense du rôle des diplomates.

Depuis que Stephen Harper est devenu premier ministre, des résidences officielles de diplomates canadiens partout dans le monde ont été vendues pour enrayer le déficit, sans aucune analyse des coûts à long terme de la perte d’édifices où historiquement, les Canadiens ont cumulé de l’information, érigé des relations et exercé la diplomatie.

Nous avons aussi fermé et vendu des ambassades. La tendance est particulièrement marquée en Afrique. Depuis 2006, le Canada n’a plus d’ambassadeurs au Gabon, au Niger, au Malawi et de consul général à Le Cap en Afrique du Sud. Nous avions auparavant des ambassades dans 45 % des nations africaines. Ce pourcentage est maintenant de 37 %. Le Brésil a plus d’ambassades en Afrique que le Canada.

C’est un cauchemar pour mes concitoyens. L’absence de bureau de l’immigration canadienne au Nigéria impose une charge de travail supplémentaire à l’ambassade canadienne surchargée d’Accra au Ghana. (Chaque fois que nous avons des demandes relatives à l’ambassade d’Accra, tout mon personnel en est presque malade, sachant que ce bureau semble incapable de ne pas perdre de dossiers – encore et encore.) Le Haut-commissariat du Canada à Nairobi au Kenya s’occupe des dossiers du Burundi, de la Somalie, de l’Ouganda, du Rwanda et du Soudan du Sud, alors qu’en Amérique latine, l’ambassade canadienne au Costa Rica s’occupe des dossiers du Honduras et du Nicaragua (même si nous avons ouvert sept nouveaux bureaux au Mexique). Dans certains pays, nous travaillons à partir des ambassades du Royaume-Uni, un peu comme des sans-abri.

Tous ces exemples vont de pair avec la tendance des Services extérieurs avec des non-diplomates. L’un des exemples les plus choquants a été la nomination en 2013 de l’agent de sécurité de Stephen Harper en tant qu’ambassadeur du Canada en Jordanie. Bruno Saccomani, un haut placé de la GRC, avait été le patron de 117 agents responsables de la sécurité personnelle de Stephen Harper et de sa famille. La nomination de M. Saccomani était controversée avant sa nomination en raison des nombreux cas d’intimidation et de sexisme qui lui étaient attribués de la part des agents sous sa gouverne.

Et puis il y a eu la nomination de Vivian Bercovici en tant qu’ambassadrice du Canada en Israël. Avocate de Toronto et chroniqueuse à certaines occasions, Mme Bercovici n’avait aucune expérience avec le Service extérieur. Même le journal Times of Israel a noté que « les messages Twitter de l’ambassadrice outrepassaient  - ou frôlaient – la frontière entre diplomatie et défense d’intérêts ».

L’ancien ambassadeur du Canada en Israël, Michael Bell, a été moins nuancé dans ses critiques : « Les critiques fermes du Hamas et du Hezbollah sont nécessaires, étant donné leur penchant pour le meurtre, la destruction et l’intimidation. Nous ne devrions en aucun cas soutenir ces organisations vouées à la violence. Mais rejeter l’Autorité palestinienne et l’OLP d’un même souffle, comme elle l’a fait, dépasse les bornes…. Mme Bercovici aura fort à faire et à apprendre si elle veut dépasser le stade de la simple diabolisation. » (Globe and Mail, 13 janvier 2014, « Canada’s new Israel ambassador needs to move beyond simplistic demonization »)

Michael Bell a peut-être été trompeur. Il sait sûrement que Stephen Harper veut cette diabolisation.

La nomination d’un dirigeant de l’industrie de la bière en tant que consul général du Canada à Los Angeles, celle de Gordon Campbell qui est devenu le Haut-commissaire du Canada au Royaume-Uni et celle de Gary Doer qui est devenu ambassadeur canadien aux États-Unis sont toutes politiques et inadéquates – la norme maintenant. Le musellement de diplomates, leur impossibilité à parler dans les universités des pays où ils sont affectés était prévisible.

Comme le disait un de mes amis - un ancien diplomate - en plaisantant lorsque John Baird donna la directive aux diplomates de se mettre en forme dans des cours de culture physique, ceux qui pratiquent l’intimidation sont souvent ceux qui disent aux imbéciles de faire des push-ups.

Version originale dans le Island Tides Regional Newspaper.