C 38 : une blague?

Elizabeth May

Je l’admets d’emblée, Stephen Harper n’a rien d’un comédien ni d’un humoriste. Les seules fois où il parle en public, c’est pour émettre une série de modulations monophoniques. Il est aussi rassurant qu’une bonne dose de Prozac. Aucun accès d’hilarité spasmodique imprévu. Jamais de gambades joyeuses dans les couloirs.

N’empêche que je me suis posé la question. Était-ce une tentative de satire politique avortée? Une allusion quelconque à une blague qui court sur lui dans la culture populaire? Pourquoi aurait-il choisi de lancer ainsi le débat sur la loi d’exécution du budget? Non, mais… il a sûrement lu la chronique d’Andrew Coyne dans le National Post dans laquelle il affirme que le projet de loi C‑38 – ce trou noir de plus de 420 pages – n’était rien d’autre qu’un ramassis phénoménal de mesures non budgétaires, dont la majeure partie modifiait de façon drastique nos lois environnementales. « Malgré son nom, ça n’a rien à voir avec un projet de loi d’exécution du budget », a écrit Coyne, qui souligne au passage que bien qu’il est coutume d’insérer quelques mesures disparates dans un projet de loi budgétaire, avec le projet de loi C‑38, « l’étendue et la portée de ces mesures atteignent des sommets jamais égalés, encore moins tolérés auparavant. » (Si le premier ministre n’a pas lu cette chronique, des gens de son entourage l’ont certainement fait pour lui en laissant traîner des papillons adhésifs sur lesquels il aurait pu lire quelque chose comme ceci : « Coyne et ses semblables semblent avoir remarqué que le projet de loi était farci de nouvelles lois conçues pour éliminer toutes les protections environnementales. » Ou encore ceci : « Allusions à un quelconque outrage à la démocratie… vite, il faut réorienter le débat. »)

Rien pour montrer qu’ils étaient conscients de la vague de colère qui grondait partout au pays. Ils n’ont pas pris la peine de mettre des gants blancs; ils y sont allés sans vergogne.

Qui a ouvert le discours sur le projet de loi d’exécution du budget? Pas le ministre des Finances. Bien sûr que non. Qu’est-ce que Flaherty aurait bien pu dire à propos d’un projet de loi d’exécution budgétaire de toute façon? Non. Le premier orateur conservateur ne fut nul autre que le ministre des Ressources naturelles, Joe Oliver. Non, dites-moi que je rêve.

Il a donné le message habituel de Harper sur notre rôle de « superpuissance énergétique. » Voici comment ça fonctionne :

Le Canada est une superpuissance énergétique – de la même manière qu’une société en faillite est une superpuissance. Tout doit être liquidé. Le temps presse et tout doit partir rapidement. Les marchés assoiffés de pétrole n’attendront pas.

Vraiment? « Nous devons nous mettre à l'œuvre, rapidement », a dit Joe Oliver à la Chambre la semaine dernière. Cependant, les projections de l’Association canadienne des producteurs pétroliers indiquent que les pipelines existants sont en mesure de répondre à la demande jusqu’à ce que la production des sables bitumineux ait augmenté de 150 % (cf. témoignage de l’ancien géologue pétrolier du gouvernement J. David Hughes devant la Commission d'examen conjoint établie par l’ONE dans le cadre du projet d'oléoduc Northern Gateway).

Le ministre Oliver s’est appuyé sur de nombreuses statistiques provenant de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prouvant que le monde était assoiffé d’énergie et, surtout, assoiffé de pétrole… sans mentionner une seule fois les mises en garde urgentes également formulées par l’AIE à propos de la crise climatique. L’AIE jette les hauts cris (au sens figuré, bien sûr, mais ses rapports se font de plus en plus pressants) pour nous prévenir qu’il nous reste bien peu de temps pour réduire notre dépendance aux combustibles fossiles et qu’à défaut de le faire, nous devrons vivre avec les conséquences catastrophiques de la crise climatique. Aucune référence non plus à la promesse de Harper d’éliminer les subventions à l’industrie des combustibles fossiles (pourtant une mesure budgétaire valable) faite en 2009, lors du G20, mentionnée en caractères gras dans chaque rapport de l’AIE comme étant une mesure urgente, mais que le premier ministre a toujours ignoré avec complaisance. Enfin, aucune référence à la mise en garde formulée par l’AIE selon laquelle le Canada doit rapidement fixer un prix pour le carbone.

Puis, histoire de rire un bon coup, voici la réponse que le ministre Oliver a donnée à un de ses collègues : « Monsieur le Président, le but de cet exercice est de s'assurer que les grands projets seront soumis à des évaluations environnementales sérieuses (…) sous l'égide de l'agence canadienne de la protection de l'environnement. »

Cependant, pour être juste envers M. Oliver, il n’y a pas de raison pour qu’il connaisse l’étendue de la destruction des lois environnementales perpétrée par le projet de loi C‑38. Il n’est pas l’auteur de cette stratégie – c’est celle du premier ministre. Et le fait que le Canada n’ait pas d'« agence canadienne de la protection de l'environnement » n’est pas quelque chose qu’il devrait savoir… Peter Kent devrait le savoir et, bien sûr, c’est lui qui a pris la parole après M. Oliver. Aucun signe de vie du ministre des Finances…. Mais qu’aurait-il bien pu ajouter à un débat sur la libération des sables bitumineux et des mines et sur la tyrannie des lois environnementales. D'une minute à l’autre, je m’attendais à ce que quelqu’un se lève des bancs conservateurs pour s’écrier : « Enfin libre! Enfin libre! » Un peu comme le cri de joie poussé par les conservateurs lors de l’élimination du registre des armes d’épaule, qui se voulait un écho du discours historique prononcé par Martin Luther King.

Avec plus de 420 pages de changements détaillés, complexes et fondamentaux affectant des lois qui datent de plusieurs dizaines d’années, ceux et celles qui s’attendaient à ce que les conservateurs fassent preuve d’un peu de retenue ont été amèrement déçus. Dès les premières heures du débat, Peter Van Loan a proposé une motion d’attribution de temps pour limiter le débat sur le projet de loi C‑38. Il est vrai que nous sommes tous pressés par le temps.

Rien de tout cela n’est bien drôle. En fait, c’est une abomination. S’IL VOUS PLAÎT, si vous êtes en colère, dites-le! S’il vous plaît, insistez auprès de votre député(e) et demandez-lui de tout mettre en œuvre pour retirer de ce projet de loi budgétaire toutes les mesures qui touchent les lois environnementales (Loi canadienne sur l'évaluation environnementale*, Loi sur les pêches, Loi sur la protection des eaux navigables, Loi sur les espèces en péril, Loi canadienne sur la protection de l'environnement, Loi sur la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie*, Loi de mise en œuvre du Protocole de Kyoto*).

(REMARQUE : Toutes les lois suivies d’un astérisque sont abrogées par le projet de loi C‑38. La LCEE est remplacée par une nouvelle version édulcorée de la loi sur l’évaluation environnementale qui, au rythme actuel, devrait être adoptée d’ici la fin du mois de juin, et ce, sans une seule journée d’audience devant le Comité de l’environnement.)