La vérité sur quelques faussetés entourant Kyoto

Elizabeth May

Ce fut une bonne
semaine pour la machine à communications de Stephen Harper.
Peter Kent est un porte-parole vraiment très efficace. La
manipulation qu'il fait des nouvelles et des médias ne cesse de
m'étonner. J'apprécie Peter Kent en tant que personne. Sur bien des
plans, il est extrêmement aimable. Cela dit, son travail au cabinet
n'a plus rien à voir avec le travail qu'il occupait si bien à titre
de journaliste à la télé. Son rôle consistait alors à lire les
nouvelles; son rôle actuel semble plutôt consister à désinformer
la population.

Que ce soit aux
émissions The Current et The House de la CBC ou à
Question Period de CTV, il accumule les faussetés à propos
de Kyoto.

Voici une petite liste
de celles qu'il répète le plus souvent. La beauté de l'affaire,
c'est qu'il vous est possible d'aller corriger cette désinformation
sur les pages de commentaires des sites web de ces médias.

Fausseté no 1 :
La plupart des pays n'ont pas ratifié l’accord de Kyoto.

La vérité : Le
Protocole de Kyoto a en fait été ratifié par 191 pays. Les
États-Unis sont le seul pays à ne pas l'avoir fait.

Le seul élément de
vérité dans cette manœuvre de désinformation, c'est que pendant
la première période couverte par le Protocole de Kyoto (de 2008 à
2012), les pays industrialisés devaient atteindre des objectifs en
matière d’émissions et respecter des échéanciers spécifiques.
Cette façon de faire avait été inspirée par le succès obtenu par
le Protocole de Montréal de 1987 qui visait à protéger la couche
d'ozone. Dans le cadre de ce Protocole,
les pays industrialisés s’engageaient à respecter des objectifs en termes
d'émission lors de la première phase d'application, alors que les pays en développement pouvaient augmenter
leurs émissions.
Les accords subséquents obtenus dans le cadre du Protocole de
Montréal faisaient en sorte que tous les pays devaient diminuer
l'émission des produits destructeurs de la couche d'ozone.

Sous Kyoto, les pays
développés s'engageaient à réduire leurs émissions sur un plan
plus général. À ce chapitre, le Brésil a fait bien davantage que
le Canada, sans même avoir d'objectifs spécifiques à atteindre.
Même chose pour l'Inde et la Chine.

Fausseté no 2 :
Kyoto a été un échec

La vérité : La
plupart des pays du monde industrialisé ont atteint ou surpassé les
objectifs établis aux termes du Protocole de Kyoto. Dans son
ensemble, l'Union européenne a même surpassé ses objectifs. Même
s'il n'a pas atteint ses objectifs, le Japon a réduit ses émissions
sous les niveaux de 1990. Le Canada est le seul pays du Protocole de
Kyoto à avoir renié ses obligations juridiquement contraignantes en
matière d'émissions.

Mais cette rebuffade du
Canada aura bien d'autres effets nuisibles lorsque l'on sait que le
Protocole de Kyoto ne se contente pas d'établir des objectifs en
matière d'émissions pour 2012, mais qu'il comporte une série
d'accords très détaillés sur la surveillance, la création de
rapports, l'établissement de crédits, l'adaptation des pays
signataires aux effets des changements climatiques et d'autres
mécanismes qui ont demandé des années de négociation.

Fausseté no 3 :
L'accord de Copenhague est un substitut à Kyoto. Kent a présenté
cet accord comme une « percée décisive. »

La vérité :
L'accord de Copenhague n'est pas le résultat de négociations
entreprises dans le cadre de discussions sur les changements
climatiques tenues par l'ONU lors de la Conférence de Copenhague. La
vérité, c’est que lors de la CdP15 de Copenhague, le président
Obama est parvenu à présenter à un petit nombre de pays rencontrés
en privé un document de deux pages décrit comme « politiquement
contraignant. » Ce document préconisait de réduire les émissions
sous un niveau permettant une augmentation de la température moyenne
de la planète ne dépassant pas 2 °C. (Après avoir évalué les
divers engagements non contraignants pris par les pays signataires de
l'accord de Copenhague, le Groupe d'experts intergouvernemental sur
l'évolution du climat a conclu que les niveaux d'émissions sur
lesquels ces pays s'étaient entendus étaient dangereusement élevés
et qu'ils entraîneraient un réchauffement de la planète bien
supérieur aux 2 °C annoncés).

Cet accord promet des
milliards aux pays en voie de développement pour financer leurs
programmes d’adaptation aux changements climatiques. Lorsqu'ils
sont revenus à la table de négociations le vendredi soir, dernière
journée de la conférence, les représentants des pays des basses
terres insulaires déclarèrent que cet accord compromettait
sérieusement l'avenir de leurs pays. Le délégué en chef de la
délégation des Tuvalu affirma à cette occasion : « En termes
bibliques, on nous offre trente pièces d'argent en échange de
l'avenir de nos enfants. L'avenir de nos enfants n'est pas à vendre.
» (traduction)

Tout au long de ce
vendredi soir et de la matinée du samedi, des pressions furent
exercées sur les représentants des pays participants pour qu'ils
acceptent le document de Copenhague. Le compromis obtenu à la toute
fin de la CdP15 consista à inscrire dans le document final que la
CdP « prenait acte » de l'accord de Copenhague. Bref, l'accord de
Copenhague n'est pas un véritable accord. Il s'agit tout au plus
d'un exemple de déformation politique et d'un exercice de relations
publiques.

Fausseté no 4 : La
position du Canada est « raisonnable. »

La vérité : Le
Canada constitue le seul pays à avoir ignoré délibérément les
objectifs de l'accord de Kyoto auxquels il était légalement lié.
Le Canada aura été le premier pays à imaginer un nouvel objectif
en matière d'émissions basé sur l'année 2006 alors que tous les
autres pays prenaient comme référence l'année 1990. Le Canada aura
ainsi ouvert la voie aux États-Unis, qui décidèrent d'adopter 2005
comme année de référence, laquelle fût par la suite adoptée par
le Canada puisqu'elle permettait de revoir à la baisse l'objectif à
atteindre en matière de diminution des GES.

De tous les pays
industrialisés, le Canada fut le premier pays à refuser de
participer aux négociations menant à l'établissement d'une
deuxième période d'engagement dans le cadre de Kyoto. Lors de la
CdP16 tenue à Caucún, l'établissement d'une deuxième période
d'engagement sous Kyoto était toujours possible. Hélas, les efforts
du Canada ont réussi à tout bloquer. L'attitude du Canada aura
autorisé le Japon et la Russie à refuser une deuxième période
d'engagement.

Fausseté no 5 : Il
est possible de contrôler l'émission des gaz à effets de serre
autrement que par l'approche préconisée par Kyoto et d'y impliquer
les gros émetteurs de GES des pays en voie de développement tels
que la Chine, l'Inde et le Brésil.

La vérité :
L'ensemble des pays en voie de développement menace de quitter
le bateau si les pays industrialisés décident de ne pas respecter
l'échéancier de Kyoto. Les négociations visant le contrôle des
GES risquent de se terminer, au moment où le temps pour obtenir des
engagements en matière de réduction commence à manquer.

La situation sera
bientôt désespérée. Déjà hier soir, CTV rapportait que le
gouvernement Harper envisageait de se retirer de Kyoto
, mais qu'il
attendait le 23 décembre pour en faire l'annonce. Si cela se
confirme, nous aurons atteint de nouveaux sommets en matière de
cynisme et d'hypocrisie.

Ce que veulent les
Canadiennes et les Canadiens, ce sont de véritables mesures pour
protéger l'avenir de leurs enfants. Le premier ministre sachant très
bien que la très grande majorité des habitants de ce pays
n'appuiera pas un désengagement officiel de Kyoto et l'effet
dévastateur que pourrait avoir cette décision sur les pourparlers
qui s'ouvriront demain à Durban, la stratégie consiste à ne
dévoiler cette mauvaise nouvelle qu'après la fin des travaux à la
Chambre des communes, au moment où les Canadiennes et les Canadiens
n’auront en tête que les cadeaux à offrir aux enfants et la dinde
à faire cuire.

Au nom de nos enfants,
il est de notre devoir de nous mobiliser. Nous avons l'obligation
d'obliger ce gouvernement, aussi majoritaire qu'il puisse être, à
revenir sur sa décision et à accepter que nous avons une obligation
morale à négocier de bonne foi. Nous devons appuyer l'établissement
d'une deuxième phase à Kyoto et exiger une réduction des
émissions.