Il est grand temps de passer à la représentation proportionnelle!

Elizabeth May

En ayant la possibilité de voter pour l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel, les électeurs de la Colombie-Britannique ont la chance de rendre un grand service à l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. J’essaie de présenter mes arguments à ce sujet dans mon nouveau bouquin. Voici quelques-uns des points que j’y développe :

« Le mode de scrutin majoritaire uninominal (SMU) est un héritage du 11e siècle. Eh oui, voilà la triste vérité! Notre mode de scrutin date de l’époque où l’on croyait encore que la terre était plate. Ce système a pu survivre sans trop à de mal des époques où il n’existait que deux partis politiques, parfois même aucun. Les gens votaient alors pour les Tories (les Conservateurs) ou les Grits (les Libéraux) et de façon générale, le parti qui remportait le plus de sièges constituait une bonne représentation des préférences de l’électorat. Il a toutefois été démontré que ce n’est désormais plus du tout le cas.

Dans sa nature même, le SMU est un système inéquitable. Même si le NPD et les Verts ont de bonnes raisons de s’en plaindre, les vraies victimes de ce mode de scrutin ne sont pas les partis politiques. Le Bloc québécois et la première mouture du Parti réformiste du Canada auront après tout largement profité de ce système, le SMU faisant en sorte que toute plateforme politique qui parvient à concentrer ses appuis dans une région est en mesure d’obtenir de bons succès électoraux. Les vraies victimes du SMU, ce sont les électeurs eux-mêmes. Dans un tel système, il n’est pas vrai d’affirmer que « chaque vote compte » et il ne faut pas se surprendre qu’après chaque élection qui aboutit à des résultats aberrants, les voix réclamant un mode de scrutin proportionnel se font plus nombreuses et insistantes. Rappelons-nous qu’après le scrutin de 2008 qui a conduit à l’élection d’un gouvernement minoritaire et à la sous-représentation du NPD et du Parti Vert, les appels en faveur de l’adoption d’une représentation proportionnelle se sont tout de suite fait entendre. Rappelons-nous également ce sondage Angus Reid réalisé à l’automne de 2008 révélant que 47 % des Canadiennes et des Canadiens se disaient prêts à considérer l’utilisation d’un mode de scrutin différent du SMU. Si 33 % des électrices et des électeurs estimaient que le système actuel était le meilleur, 28 % disaient préférer un système entièrement proportionnel alors que 19 % privilégiaient un mode de scrutin mixte par lequel un certain nombre de sièges seraient attribués sur la base de circonscriptions électorales et les autres sièges, sur la base de la représentation proportionnelle.

L’un des modes de scrutin alternatifs les plus populaires à être adoptés par les pays désireux d’abandonner le SMU s’appelle le VUT, ou vote unique transférable. L’objectif de ce mode de scrutin consiste à s’assurer que les élections permettent le plus possible de voter pour un candidat plutôt que pour un parti. Afin de rendre le processus électoral plus équitable, ce système regroupe dans une liste commune un ensemble de circonscriptions locales ou de districts. Le nom de toutes les candidates et de tous les candidats apparaît sur le bulletin de vote et les électeurs sont appelés à voter pour plusieurs députés en ordre de préférence. Le VUT a été introduit dans certains pays du Commonwealth faisant appel auparavant au SMU. Il est utilisé notamment en Australie pour l’élection du Sénat et pour l’élection des membres des deux Chambres en Irlande et en Tasmanie. Si participer à une élection à vote unique transférable n’a rien de compliqué, il en va un peu autrement lorsqu’il s’agit d’expliquer ce système.

L’électrice ou l’électeur qui participe à un scrutin de type VUT reçoit un seul bulletin de vote, à partir duquel elle ou il devra effectuer plusieurs choix. L’électrice ou l’électeur doit ainsi classer dans l’ordre de ses préférences, une liste de candidates et de candidats faisant partie d’un regroupement de circonscriptions électorales. Au dépouillement des votes, l’identité des candidates ou des candidats qui ont reçu le plus d’appuis est sans ambiguïté. Une fois qu’une candidate ou un candidat est élu(e), tous les votes qui lui ont été accordés en tant que « premier choix » continuent à être comptabilisés et sont reportés aux seconds de chaque liste. Les votes figurant au bas du classement des listes des électrices et des électeurs sont également comptabilisés. Ce mode de scrutin permet une répartition très équitable des votes obtenus par les candidates et les candidats locaux et leur élection assure également une juste répartition du soutien reçu par les autres candidats. Comme l’a souligné l’écrivain canadien Nick Loenen, un partisan du VUT :

Il faudrait noter que les choix les moins élevés dans le classement des candidats d’un électeur n’ont aucune influence sur ses choix les plus élevés dans la mesure où les choix les moins élevés n’entrent en jeu qu’une fois les candidates ou candidats préféré(e)s sont élu(e)s ou éliminé(e)s….

Exprimer sa préférence pour une candidate ou un candidat en particulier, un parti, une plateforme ou un enjeu local n’oblige pas les électeurs à rejeter complètement toutes les autres options… Plutôt que de leur demander de choisir entre une approbation ou un rejet en bloc des choix proposés, le vote unique transférable permet aux électeurs de signifier leurs préférences et leurs désapprobations sur une échelle de 1 à 10. Le vote par préférence permet de déterminer avec une exceptionnelle précision le niveau de soutien accordé par les électeurs à un candidat, un parti ou un enjeu… Grâce à ce système, la participation des citoyens prend une nouvelle dimension et devient plus significative. [traduction]

Même si le VUT fournit davantage de choix à l’électorat que le mode de scrutin mixte proportionnel à deux tours, ces deux modes de scrutin constituent un immense progrès par rapport au système archaïque actuel qui préconise le tout ou rien.

Les Canadiennes et les Canadiens, en particulier les électeurs de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, seront en mesure de se familiariser avec ces deux options. Les électrices et les électeurs de la Colombie-Britannique ont passé près d’adopter le VUT lors d’un référendum tenu en 2005. Même si 57,69 % des électrices et des électeurs avaient donné leur appui au VUT, ce système ne fut jamais implanté, le gouvernement provincial de l’époque ayant décidé que l’adoption de ce mode de scrutin exigeait le soutien d’au mois 60 % des électeurs plutôt qu’une majorité simple. Le VUT sera encore une fois proposé aux électrices et aux électeurs de la Colombie-Britannique lors de l’élection du 12 mai prochain. »

Vous êtes intéressés comme moi à savoir comment le VUT fonctionne dans d’autres pays?

J’ai posé la question à mon ami, le sénateur Bob Brown, chef du Parti Vert australien. On fêtera bientôt le 100e anniversaire de l’adoption du VUT dans son pays. Voilà ce qu’il m’a répondu :

L’avis de Bob Brown sur le VUT

En octobre prochain, la Tasmanie, l’État insulaire de l’Australie, fêtera les 100 ans de ce que nous prétendons avec fierté être le mode de scrutin le plus équitable de la planète, j’ai nommé le système de vote unique transférable, ou VUT.

En Australie, le VUT est généralement appelé mode de scrutin Hare-Clark en l’honneur des avocats britannique Thomas Hare (1806-1891) et tasmanien Andrew Inglis Clark (1848-1907). C’est à Thomas Hare que l’on doit l’idée d’utiliser le vote unique transférable comme moyen d’assurer une représentation proportionnelle. Clark quant à lui a joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de la Constitution australienne alors qu’il occupait la fonction d’Attorney-General de la Tasmanie à la fin du 19e siècle. Il modifia le système Hare original et le mis en vigueur lors d’élections régionales dans les années 1890, mais il mourut avant que le VUT ne soit adopté à la grandeur de la Tasmanie en 1909.

Le VUT eut une autre partisane notoire en la personne de Catherine Helen Spence d’Adélaïde. Madame Spence entretint une intense correspondance avec Hare et Clarke et elle contribua à ce que ce mode de scrutin soit inscrit dans la Constitution, ce qui rendait possible l’adoption du VUT pour les élections dans les deux chambres du Parlement national.

Le VUT est maintenant appuyé par tous les partis politiques, la presse et par l’ensemble de la population de Tasmanie. Il s’agit du mode de scrutin qui se rapproche le plus de l’idéal démocratique du « une personne, un vote, une valeur ».

Plus récemment, le VUT a été adopté par l’assemblée législative du Territoire de la capitale de l'Australie (Canberra) et par les gouvernements locaux de nombreuses villes de l’Australie. Ce mode de scrutin fut également adopté en 1949 pour l’élection du puissant sénat national (la Chambre haute), lequel peut initier des projets de loi ou bloquer des lois provenant de la Chambre des représentants (les Communes) de Canberra. C’est ce mode de scrutin qui a été utilisé pour l’élection au Sénat des 12 sénateurs représentant les 6 États du pays.

Le principal intérêt du VUT réside dans le fait que contrairement au système de scrutin uninominal utilisé en Australie et au Canada (un système hérité du gouvernement britannique), le vote de chaque électeur a la même valeur et chaque électeur est en mesure de contribuer à l’élection d’un candidat qu’il aura véritablement choisi.

Dans un système à scrutin uninominal, le candidat qui obtient le plus de votes remporte l’élection. Mais cette victoire est obtenue au prix d’un terrible inconvénient puisqu’au lendemain de l’élection, c’est souvent plus de la moitié des électeurs qui se réveillent en apprenant que le candidat pour lequel ils avaient voté a perdu.

Environ un électeur sur deux sera donc représenté au Parlement par une personne ou un parti pour lequel il ne voulait pas voter! Autre aberration permise avec un tel mode de scrutin : dans un électorat présentant des tendances à droite, les candidats progressistes n’auront à peu près aucune chance de gagner et le vote de millions d’électeurs sera ainsi tout simplement ignoré.

En revanche, le VUT permet presque toujours aux électeurs de gauche et de droite (et aux électeurs des Partis Verts) d’être représentés par des hommes et des femmes qui partagent leur vision du monde et qui pourront l’exprimer lors des débats au Parlement. De cette façon, le vote de chacun peut enfin compter.

Dans un mode de scrutin VUT, l’électorat type est représenté par sept personnes plutôt qu’une seule. Le calcul des votes peut sembler complexe, mais le résultat obtenu est simple et satisfaisant. Plutôt que d’avoir un seul gagnant, il y en a sept et pratiquement chaque électeur peut affirmer être représenté par un parti ou un candidat pour lequel il a voté.

Mais le VUT ne compte pas que des partisans. Ses opposants proviennent généralement de vieux partis bien établis dans le décor politique et qui ont profité pendant des décennies des aberrations électorales auxquelles aboutit le mode de scrutin uninominal. Ces gens ont l’habitude d’affirmer que le VUT est un système de votation très compliqué. Un petit conseil à ce propos : chaque fois que vous lirez ou entendrez les mots « très compliqué » dans une description du VUT, pensez plutôt à « très équitable ».

Le VUT est également un système de votation très démocratique puisqu’il donne un réel pouvoir de décision à chacun des électeurs. Plutôt que de se contenter de donner aux électeurs le choix de voter pour un parti, le VUT exige de chaque parti de produire une liste de candidats parmi lesquels les électeurs auront à choisir. Le VUT met ainsi fin aux pouvoirs absolus des partis à imposer un candidat. Cela oblige bien sûr les partis à présenter aux électeurs des candidats offrant des personnalités et des compétences diversifiées et provenant de milieux de travail différents plutôt qu’un seul candidat choisi pour son influence dans le parti.

Je suis un sénateur du Parti Vert. Aux élections de 2007, l’anachronique mode de scrutin uninominal encore en vigueur dans notre pays a fait en sorte que malgré le million d’électeurs qui avaient voté pour nous, les Verts n’ont fait élire aucun député à la Chambre des représentants. En revanche, grâce au VUT utilisé lors des élections pour le Sénat, on retrouve 5 représentants des Verts et 2 indépendants parmi les 76 sénateurs qui siégent à la Chambre haute, Cette composition du Sénat est le fidèle reflet de la façon dont les Australiens avaient voté à ce niveau de gouvernement. Les libéraux, les travaillistes et le National Party sont également représentés au Sénat en proportion des votes qu’ils ont reçus.

Même si l’on retrouve en Nouvelle-Zélande et dans certains pays européens divers modes de scrutin proportionnel qui permettent de mieux rendre compte du vote des électeurs, le VUT demeure à mon point de vue le meilleur de ces systèmes.

Après 100 ans d’application, il est hors de question que les Tasmaniens renoncent au VUT, comme il est hors de question, qu’après 60 ans de son utilisation pour l’élection des membres de leur Sénat, les Australiens reviennent à un mode de scrutin uninominal. Le VUT est une bonne chose et nous le conserverons. Il s’étend d’ailleurs progressivement à l’échelle de l’Australie et il constitue le mode de scrutin des Irlandais et des habitants de l’île de Malte.

Il n’y a aucun doute que si la Colombie-Britannique adopte le VUT, la satisfaction des électeurs qui en découlerait inciterait tôt ou tard les autres provinces du Canada à l’adopter à leur tour.

Bob Brown, sénateur
Chef des Verts australiens