« Il s’agit d'économie, imbécile »

Elizabeth May

Je n’ai jamais aimé ce slogan emblématique sorti du centre de planification de Clinton. J’éprouve une aversion viscérale à traiter quiconque « d’imbécile. » (Il s’agit sans aucun doute d’une réaction attribuable au fait d'avoir eu une mère qui croyait aux bonnes manières.)

Cela dit, ces mots courent dans ma tête comme au marathon de Boston depuis jeudi dernier et depuis la présentation du bilan financier par le gouvernement Harper. Comme je l’ai déjà bien expliqué, l’énoncé économique du gouvernement Harper envoyait le mauvais message – celui de l’austérité et de la restriction. Restons calmes et ne nous approchons pas de ces beaux cadeaux enrubannés qu'on nous présente en abondance pour le temps des Fêtes. Le gouvernement a inventé un surplus sur 5 ans que personne n’a cru. Le tripotage des états financiers est une description populaire pour qualifier la méthode de gestion de M. Flaherty. De plus, dans le but d'obtenir un minuscule surplus, le gouvernement Harper a compté comme de l'argent en poche la vente d'actifs non spécifiés appartenant au gouvernement fédéral. Dans une entorse surprenante à ses engagements au Sommet de l’APEC tenu récemment au Pérou, le premier ministre a finalement annoncé des déficits, et l’entorse s’est poursuivie avec la présentation de son programme promis pour stimuler l’économie. Et, comme tout le monde le sait, sa tentative de faire passer un effort visant à mener son opposition politique à la faillite pour une mesure économique a été l’une des trop nombreuses tactiques impitoyables qu’il a mises en œuvre. La spectaculaire division du Parlement depuis ce jour a soulevé des éléments qui pourraient menacer la stabilité nationale.

Ces éléments ne se trouvent pas dans l’offre d'un gouvernement de coalition présentée par les partis de l'opposition. La menace contre l'unité nationale se trouve plutôt dans la réponse que donnent les Conservateurs de Harper pour empêcher cette coalition de prendre le pouvoir. Dans leur désir désespéré de s'accrocher au pouvoir, les Conservateurs risquent d'attiser la flamme du souverainisme québécois alors que la popularité d’un projet national au Québec est suffisamment faible au point que le Bloc se prépare à signer une trêve avec des partis fédéralistes. L’initiative du Bloc devrait être célébrée. Au lieu de cela, cette initiative ainsi que les aspirations du Québec sont diabolisées.

M. Harper a la mémoire extrêmement courte. Il semble avoir oublié qu’il a lui-même offert à MM. Layton et Duceppe de former un gouvernement avec eux plutôt que de déclencher des élections, si le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin était défait. Le fait qu’il ait compté sur le soutien du Bloc pour assurer la survie de son gouvernement lors de nombreuses motions de confiance lui a totalement sorti de l’esprit.

Pendant ce temps, la source de cette agitation, soit des perspectives économiques qui vont de mal en pis, est foulée aux pieds. S’il y avait la tenue d’un vote de confiance, la gouverneure générale pourrait décider, dans l’exercice de ses fonctions, de permettre la formation d’un gouvernement de coalition. Ce dernier pourrait ensuite mettre de l’avant un programme qui stimulerait l’économie. Par contre, si M. Harper réussit à éviter la tenue du vote, il sait qu’il sera perdant dans la prorogation de la Chambre des communes, car le pays sera plongé dans une campagne non officielle opposant les Conservateurs à la coalition jusqu’à ce que la Chambre reprenne ses activités. Les mesures destinées à stimuler l’économie seront remises à plus tard. Et l’humeur de la population risque de se détériorer.

Pendant toute la Deuxième Guerre mondiale, Winston Churchill s’est présenté à la Chambre. Il n’a jamais eu peur de débattre les politiques, car il avait un profond respect pour la démocratie et le processus parlementaire. Proroger la Chambre après une session parlementaire de deux semaines dans le but d’éviter de perdre un vote n’est pas très churchillien, et ce n’est pas non plus dans l’intérêt du pays.

Le Parti Vert appuie la coalition. Néanmoins, les esprits moins échauffés doivent conseiller la prudence dans tous les camps. Si M. Harper choisit de ne pas céder et de ne pas permettre la tenue du vote de confiance, la coalition devra trouver un moyen pour s’assurer que les actions du gouvernement servant à protéger notre économie ne seront pas utilisées pour exacerber davantage la situation.

Elizabeth May, O.C., est chef du Parti Vert du Canada.