Les investisseurs chinois pourraient paralyser le Canada

OTTAWA – Alors que les Conservateurs de Harper pourraient légalement ratifier le Traité Canada-Chine sur les investissements dès le 2 novembre 2012, un survol de l’expérience canadienne avec d’autres accords assortis de dispositions protégeant les droits des investisseurs, notamment le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), devrait sonner l’alarme.

« Avec le chapitre 11 de l’ALÉNA, nous avons donné aux grandes sociétés des États-Unis et du Mexique le droit de nous poursuivre si elles estiment que nos lois portent préjudice à leurs activités et réduisent leur marge de profit », a rappelé Elizabeth May, chef du Parti vert du Canada et députée de Saanich—Gulf Islands. « Nous avons perdu la moitié des poursuites intentées contre nous aux termes de cette disposition et nous avons payé cher en arbitrage et en dommages et intérêts. À présent, Stephen Harper est sur le point d’accorder des droits similaires aux puissantes sociétés d’État chinoises. »

Depuis l’entrée en vigueur de l’ALÉNA en 1994, les contribuables ont été contraints de payer environ 157 millions de dollars aux sociétés étatsuniennes en désaccord avec des lois et règlements canadiens –et plusieurs autres dossiers sont en attente de règlement– selon les données du Centre canadien de politiques alternatives.

D’après un récent rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, le Canada figure déjà au sixième rang des nations les plus poursuivies en vertu de dispositions de règlement des différends entre un investisseur et un État. Pendant ce temps, des investisseurs canadiens ont engagé au total 16 poursuites contre des États, habituellement les États-Unis, et ont perdu à chaque fois. Ces poursuites portaient notamment sur le bois d’œuvre, le bétail et l’exploitation aurifère.

Il y a tout lieu de s’attendre à ce que les sociétés et les investisseurs chinois se prévalent de ce droit, surtout en ce qui a trait au secteur des ressources. Le Traité Canada-Chine sur les investissements contient cependant certaines exemptions qui ne font pas partie de l’ALÉNA, mais il n’est pas certain que ces exemptions seront efficaces, puisque la Chine pourra toujours demander des dommages-intérêts si elle estime que nos mesures en matière d’environnement ou de santé sont « arbitraires » ou constituent une « barrière commerciale déguisée. »

Contrairement aux poursuites intentées aux termes de l’ALÉNA ou d’autres accords commerciaux, les poursuites chinoises devront demeurer secrètes; en effet, les audiences d’arbitrage et tous les documents afférents, à l’exception du montant des dommages-intérêts consentis, pourront demeurer confidentiels, à la discrétion du pays poursuivi devant le tribunal. Cela signifie que nous pourrions ne jamais savoir si le Canada a reçu l’ordre de modifier certaines décisions gouvernementales.

« Si des sociétés chinoises comme CNOOC [Chinese National Offshore Oil Corporation] font des avancées cruciales au Canada par le truchement de l’affaire Nexen, par exemple, nous pourrions être encore plus vulnérables. Même les provinces, qui n’auront pas voix au processus, pourraient être tenues responsables et devoir payer des sommes importantes », a prévenu Mme May.

« Il est intéressant de noter que les Conservateurs veulent nous obliger à conclure un accord secret, potentiellement perfide, alors que d’autres nations comme l’Australie, l’Inde et l’Afrique du Sud abandonnent graduellement les dispositions investisseur/État. »

Le Traité Canada-Chine sur les investissements a été déposé à la Chambre des communes en catimini le 26 septembre dernier. Les conservateurs n’ont prévu aucun débat ni aucun vote. Une fois ratifié, il liera le Canada pour un minimum de 15 ans, mais pourrait s’appliquer pour les 31 années à venir.

 

Les poursuites intentées en vertu de l’ALÉNA comprennent notamment celles‑ci :

1977             Ethyl Corporation a poursuivi le Canada pour 250 millions de dollars après que ce dernier ait interdit le MMT, un additif d’essence neurotoxique. Le gouvernement du Canada a levé l’interdiction et conclu un accord à l’amiable à la hauteur de 13 millions de dollars.

 1998            S.D. Meyers Inc., une société étatsunienne d’élimination des déchets, a dénoncé l’interdiction d’exporter des déchets contenant des BPC et poursuivi le Canada pour 20 millions de dollars. Le Canada a payé 5 millions de dollars plus les intérêts.

 2007            Mobil Investments Canada Inc. & Murphy Oil Corporation a prétendu que les lignes directrices conçues pour soutenir l'effort de recherche et développement local contrevenaient à l’ALENA et poursuivi le Canada pour 65 millions de dollars. L’affaire est toujours devant le tribunal.

 2009            Après la fermeture de la dernière usine de pâtes et papiers d’AbitibiBowater Inc., Terre‑Neuve a adopté une loi pour l’obliger à rendre certaines terres et autres actifs. La société a poursuivi le Canada à la hauteur de 467,5 millions de dollars; le Canada a payé 130 millions de dollars pour régler l’affaire.

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Debra Eindiguer
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