La COP qui ne voulait pas finir...

Elizabeth May

(LIMA) -Okay, Je sais que ça sonne comme un film de Bruce Willis et je m’en excuse... mais cette COP a revêtu cet aspect à la fois fantastique et cauchemardesque qui fait que nous ne savons plus quel jour nous sommes et quelle heure il est. Toutes mes excuses. J’ai été étonnée de voir que mon dernier blogue avait été envoyé jeudi soir très tard.  Depuis ce temps, nous avons été presque en négociations constantes, sans texte final au moment d’écrire ces lignes à 19 h samedi soir. 

À ma grande surprise, jeudi soir, le président a levé la séance, en donnant des instructions aux deux coprésidents de travailler avec lui et d’élaborer un nouveau texte d’ici 21 h. Il a aussi demandé aux négociateurs en chef de la Norvège et de Singapour d’aider à trouver un consensus. Il a par la suite dit à tous ceux qui restaient de retourner à nos chambres d’hôtel en attendant une séance plénière commençant à 9 h, le vendredi. 

Le matin suivant, plus de cent représentants d’ONG avec des étiquettes d’observateurs se sont mis en file pour entrer dans une salle plus petite et moins formelle (celle qui possède l’assourdissant ventilateur). Nous ne sommes jamais entrés. Même certaines des délégations nationales n’ont pu entrer.

Le débat a fait rage dans cette salle pendant presque une heure. Nous avons alors découvert que le débat portait sur l’obtention d’une salle plus large… Les délégations ne voulaient pas exclure tant d’ONG (celles des pays en voie de développement ne voulaient pas). Le garde de sécurité de l’ONU est venu nous dire : « Tout le monde dans la salle Cusco. Ne courez pas. »  À ce moment, un certain nombre de délégués fatigués se sont mis à courir.  

Une fois de retour dans la grande salle pour séance plénière, la conversation s’est poursuivie à propos de lignes de texte officieuses d’un groupe de travail. Le nouveau texte n’a pas bien été reçu. Il comportait une série d’options (1-3) dans toutes les sections clés, mais il était fait en fonction de l’ordre du jour du monde industrialisé. 

À mesure que les pays en voie de développement prenaient la parole, les uns après les autres ont exprimé, en termes très diplomates, leur déception à propos du manque d’équilibre. Le mot clé ici est la « différenciation ». (Voir mon blogue de mercredi sur la proposition du Brésil). Le texte ne comportait pas ce terme de « différenciation ». J’ai demandé à un négociateur canadien à ce sujet et il m’a répondu « bien sûr qu’il y a une différentiation. On parle d’autodifférenciation ». Évidemment, un pays nanti comme le Canada peut dire « pauvre de moi! Regardez la situation difficile dans laquelle je me trouve. J’ai tellement investi dans les sables bitumineux! »  Alors que pour les nations pauvres du monde, la différenciation est une réalité. Les États insulaires de faible altitude font face à l’extinction en tant que nation, alors que d’autres nations pauvres avec des millions d’habitants vivant près du niveau de la mer sont ballotées par l’élévation du niveau de la mer, avec des ondes de tempête de plus en plus dangereuses, des tempêtes tropicales de plus en plus intenses et de rares infrastructures qui disparaissent.

On n’a pas fait mention de l’enjeu des pertes et des dommages. On n’a à peu près pas parlé d’adaptation et de financement, de transfert de technologies et de moyens de construire. On n’a pas rassuré les pays pauvres sur le fait qu’ils n’auraient pas les mêmes exigences pour remplir leurs « engagements prévus déterminés au niveau national » (EPDNN) que les pays industrialisés – mais sans les ressources pour le faire. La référence faible à la place du travail du GPD à l’intérieur du CCNUCC a été un signal d’alarme spécial pour les pays en voie de développement. Le préambule disait à peine « guidé par la Convention ». L’Inde a été énergique en disant que cette phrase a « ébranlé la foi » des pays en voie de développement sur le fait que les pays industrialisés ne soient pas en train d’affaiblir le rôle de la Convention.

Après quelques heures pour recueillir des commentaires, les coprésidents ont annoncé que le président leur avait demandé de travailler avec lui et de rédiger un nouveau texte. On nous a demandé de revenir après le dîner pour faire le bilan avec le président, pour voir à quel point ils avaient fait de compromis.

Le bilan a été reporté jusqu’à 15 h, et puis 16 h, et puis 17 h, et puis 21 h, puis finalement à 23 h 30. Comme l’un de mes amis environnementalistes disait « Il n’y a qu’à une COP que l’on peut se sentir à la fois stressé et s’ennuyer. »

Finalement, nous nous sommes rassemblés à 1 h. Ou ce sont les portes qui se sont ouvertes à 1 h. Il était 2 h avant que tous les groupes de pays aient fini leurs conversations internes et que le président de la COP, le ministre de l’Environnement du Pérou, Manuel Pugar-Vidal, ait rassemblé le groupe. Il nous a exhortés à être flexibles et a cédé la parole au coprésident du GPD. Un texte, réduit, a été remis, et il a expliqué que le document avait été rédigé à partir des commentaires de toutes les parties. Il a affirmé que tous les pays seraient mécontents, mais a espéré que le mécontentement serait égal.

Pendant l’heure et demie qui a suivi, les pays en voie de développement ont tout d’abord demandé qu’on ne leur donne pas une décision écrite « à prendre ou à laisser ». Conscients que la rencontre était censée être finie, certains ont fait pression pour que le tout soit accepté même s’ils trouvaient le document faible. Mais, sans être démesuré, chaque pays l’un après l’autre a demandé du temps pour lire la décision écrite, pour s’entretenir avec son gouvernement respectif (de nombreux ministres ayant déjà quitté la Conférence) et pour avoir la chance de réfléchir à ce nouveau discours.

À 3 h 30, le coprésident du GPD a accepté de donner du temps pour lire la décision et pour reprendre la discussion à 10 h. La distance est considérable entre cette base militaire à l’extérieur de la ville et les hôtels en ville. Les négociateurs ont eu le choix de lire le texte ou de dormir les trois heures et demie qu’ils avaient à l’hôtel.

À 10 h, la conservation sur le contenu du nouveau texte a commencé. Il était clair, très rapidement, qu’il n’y aurait pas de consensus sur l’ébauche, malgré certaines améliorations nettes. Le texte était suffisamment faible pour que l’Australie l’aime. Le Canada n’a pas pris la parole. Mais les États insulaires de faible altitude, en particulier le Tuvalu, ont déclaré être opposés au texte qui, selon les mots du négociateur en chef du Tuvalu, Ian Fry, abandonnerait les plus pauvres des pauvres. « Nous implorons tous les participants de cette salle de faire en sorte que cette COP ne soit pas celle où l’on a fait fi des plus pauvres du monde. »   

Les nations africaines se sont aussi opposées, tout comme le groupe d’optique commune (qui a un négociateur en chef très expérimenté en provenance de la Malaisie), un sous-ensemble du G77 et de la Chine. Les pays arabes ont approuvé. 

Le Brésil a fait une intervention très raisonnable fondée sur les règles et les principes en soulignant que le CCNUCC doit diriger ce processus et que « nous sommes ici pour renforcer le climat à l’échelle planétaire, pas pour l’affaiblir ».

Les participants dans la salle n’étaient pas entièrement contre le texte. Les Îles Marshall, reconnaissant que « l’existence de notre pays ne tient qu’à un fil », ont plaidé pour le compromis pour accepter ce texte et « se battre bec et ongles » pour l’améliorer avant Paris.

La Russie a aimé le texte, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon aussi. Les États-Unis l’ont également aimé et ont adopté un ton menaçant (c’est ce que j’ai cru) lorsque Todd Stern du Département d’État a affirmé qu’il n’y avait pas que le climat qui était à risque. Voici donc ce qui a été la légitimité du CCNUCC en tant que moyen de répondre au réchauffement climatique – si la COP n’acceptait pas l’ébauche du texte.   

La Chine a finalement fait preuve de réalisme. « Nous sommes au point mort. »

Les coprésidents ont reconnu que cela était vrai et ont dit qu’ils lèveraient la séance et achemineraient le texte du GPD au président pour qu’il consulte et trouve des compromis. Et puis Manuel Pulgar-Vidal a annoncé qu’à 2 h 30, il rencontrerait pour dix minutes chaque groupe de pays, groupe régional ou groupe d’intérêt de négociateurs. Et que cela devrait prendre trois heures de plus. À cette étape, lui et les coprésidents feraient une ébauche.  

Des négociations en rencontres à la chaîne. Nous attendons encore les résultats de ce processus. Il devrait y avoir un nouveau texte. Nous nous reverrons donc tous à 21 h.

J’écrirai plus lorsque je saurai si nous quittons Lima les mains vides, avec un texte faible ou avec un texte qui en fait établira une voie solide vers la COP21. Je parierais entre les deux, c’est-à-dire un texte faible, mais un peu plus solide que l’ébauche précédente. Restez branchés.